La modification des comportements s'effectue non par une quelconque conversion idéologique mais par les pratiques sociales. Les plus jeunes sont plus nombreux à poursuivre des études, à s'éloigner du moule familial et de voisinage, ils entrent, ainsi que des couches d'âge plus âgées dans de nouvelles formes et de nouveaux collectifs de travail, les lieux d'habitation changent pour beaucoup. A la même période, les systèmes d'information se développent et leur usage se massifient. Il n'y a là nul automatisme qui conduirait à une orientation politique particulière, mais ces nouvelles pratiques, ces nouvelles expériences sociales télescopent les systèmes de relations et les conduites politiques antérieures, les diversifient et entrent en résonance avec la situation politique nationale. Il n'y a pas une simple relation entre un corps social devenant plus industriel et urbain et un vote plus à gauche. Il y a éclatement des conditions antérieures, recomposition d'une nouvelle combinaison et interrelation avec une situation politique nationale. Cela ne se fait pas en quelques dizaines de mois. Il y faut du temps, le temps de l'imprégnation, le temps de tentatives, d'ajustements, le temps de formation d'opinions individuelles et collectives.
L'exemple de décalage en sens inverse, développant des opinions en rupture avec l'environnement régional conservateur peut s'interpréter également par le jeu des pratiques sociales. Il en est ainsi de l'expérience de la Résistance, et l'influence idéologique à un âge décisif pour toute une génération, dont le nombre est suffisant pour donner sa marque à une population locale, entraînent pour de nombreuses années un vote en décalage d'orientation.
Le décalage temporel entre évolution matérielle et évolution politique, associé au rôle des pratiques sociales comme moteur des changements d'orientation permet de rendre compte du maintien de ce qui a été appelé permanences alors que la société a bougé dans ses structures et ses fondements ainsi que du rattrapage accéléré du profil d'opinion national dès lors que la combinaison entre changement du contexte économique urbain, rural, situation politique nationale, rapport de pouvoirs locaux, relation électeurs-élus ne se voit plus opposer de frein particulier en cette portion du territoire.
