Le changement d'équilibre Droite/Gauche, le changement d'équilibre au sein de la Droite, et l'émergence du leadership du Parti Socialiste dans la Gauche, constitue les trois principales tendances qui s'affirment dans le Grand Ouest pendant toute la décennie 1970. Ceci s'effectue sur une toile de fond identique au niveau national : l'évolution du Grand Ouest s'effectue dans le même sens tout en ayant un décalage. Ce décalage a trois caractéristiques : le maintien de la domination de la Droite, on transite de l'hégémonie à la forte majorité ; ipso facto une influence de la Gauche plus forte ; un écart entre le PS et le PC accentué par rapport à la situation nationale.
L'évolution du Grand Ouest suit le mouvement électoral national, conserve un écart en niveau (voix pourcentages), mais se fait et se fera les annnées suivantes à un rythme d'évolution plus rapide. Il y a comblement incomplet mais accéléré de l'écart entre l'Ouest et la situation nationale. 1981 constitue le point haut de cette évolution. Tant à Gauche qu'à Droite les tendances qui se sont affirmées tout au long de la décennies 1970 arrivent à maturité.
Nationalement, au sein d'une Droite qui va perdre les élections présidentielles, le mouvement gaulliste est largement affaibli. Au sein de la Gauche, le Parti Socialiste a affirmé une hégémonie aux dépends du Parti Communiste. Il va progressivement dans la décennie 80 devenir le parti à 25 % - 30 % des suffrages, devenant par là même le premier parti français et le pivot de l'échiquier politique.
Dans le Grand Ouest, alors qu'aux Présidentielles de 1965 l'écart entre la moyenne française et le Grand Ouest était pour la Gauche de 10 points (45 et 35) il se réduit en 1981 à 4,8 %.
Cette progression de la Gauche s'effectue quasiment partout, mais elle est particulièrement nette autour des agglomérations ; Nantes, Rennes, Caen, Cherbourg, Lorient, Angers, Le Mans, etc...
Les calculs de Jean Pihan sur la Bretagne font apparaître une relation nette entre la concentration de population et l'orientation à gauche des votes. La poussée de la Gauche dans les communes de 2 000 à 20 000 habitants atteint 168 %. En 1968 les communes de cette taille représentaient 1/3 des suffrages de gauche, en 1986, elles représentent un peu plus de 40 %. La progression est manifeste.
Durant toute la décennie 80, mes propres calculs en Basse-Normandie vont dans le même sens. On relève des écarts de 10 points selon la taille des communes. Dans les communes de moins de 1 000 inscrits, le total des voix de Gauche est en moyenne de 24 % des exprimés et le total Droite de 71 %. A l'opposé, dans les communes de plusde 5 000 inscrits le total Gauche atteint 33 à 34 % et le total Droite 60.
Sans nul doute possible, la poussée de la Gauche dans l'Ouest au cours des années 70, puis sa stabilisation au cours des années 80, s'appuie sur le développement urbain Danièle Rapetti a mis en rapport toutes les unités urbaines et les votes à Gauche sur la période 75 - 81 - 86. Les inscrits des trois régions Bretagne-Basse-Normandie-Pays-de-la-Loire représentent environ 13 % de l'électorat français en 1965 et en 1981. Les votes Mitterrand de l'Ouest représentent eux environ 10 % du vote national en 1965 et 12 % en 1981. Dans ce mouvement, les villes participent pour 59 % aux gains de la Gauche.
Ces trois mesures convergentes, comme l'observation plus générale de la répartition spatiale des votes, font ressortir cette évolution essentielle : le recul structurel de la Droite au cours de la décennie 70, la progression de la Gauche et spécialement du PS sont particulièrement portées par les zones urbaines.
Il faut immédiatement ajouter : particulièrement mais pas seulement. Ce changement de comportement électoral est également porté par des zones péri-urbaines et les petits bourgs. Ainsi en Basse-Normandie, le total Gauche mesuré dans la décennie 80 est légèrement plus élevé dans la tranche de communes de 7 500 à 10 000 inscrits que dans celle de plus de 10 000. Les périphéries d'agglomérations, ce n'est pas nouveau, apportent un soutien électoral à Gauche plus important à la Gauche que les villes-centre.
Deux phénomènes nouveaux se manifestent dans l'Ouest au cours de ces périodes dans le support socio-spatial du changement de comportement électoral : le seuil atteint dans l'orientation à Gauche et l'effet de lieu, de milieu, la combinaison socio-spatiale localisée, qui se construit en zone urbaine.
Le second phénomène s'exprime au travers du changement qui intervient au cours de cette période pour les villes moyennes, les petites villes et même leur périphérie. L'influence de la Gauche y était faible, parfois même anecdotique, elle devient substantielle, s'approche des moyennes nationales et devient même parfois majoritaire.
Le premier phénomène est de l'ordre du rattrapage, le second est plus spécifique de l'évolution de l'Ouest. Pour être plus précis, dans ce changement qui affecte les villes petites et moyennes, la décennie 70 est surtout la décennie de l'émergence de l'influence de la Gauche lors des élections nationales. Rarement la Gauche devient majoritaire dans ce niveau de villes aux élections locales dès la décennie 70. Ce sera la décennie 1980 qui verra cette majorité inédite pour ces lieux, éclore dans les élections locales. Nous y reviendrons en traitant des élections municipales et cantonales des années 80.
Que les périphéries d'agglomération soient plus favorables à la Gauche, c'est un phénomène de sociologie politique classique en France comme en Europe depuis la naissance du mouvement ouvrier. Les banlieues nées de l'aspiration plus ou moins forte de main-d'oeuvre, constituent le creuset de l'influence de la Gauche moderne depuis le début du siècle. Les villes-arsenal ou chantiers navals : Saint Nazaire, Lorient, Brest, Cherbourg, Le Havre ; les industries ou les réseaux de transport ont généré dans l'Ouest comme ailleurs, les banlieues ouvrières et employées, terre d'influences privilégiées de la Gauche à ce moment : Nantes-Chantenay, banlieue est puis nord de Caen, banlieue du Mans etc.
Une différence d'importance est que l'effet d'ambiance, la combinaison socio-spatiale en ces lieux, porte, sur le plan des comportements politiques, l'empreinte de l'état d'esprit dominant. Cet état d'esprit est marqué depuis le début du XIXe au moins par une attitude conservatrice. Aussi, à composante sociologique égale avec une petite ville minière ou industrielle des marges du Massif Central ou Sud-Ouest, l'influence de la Gauche est nettement moindre et celle de la Droite inversement proportionnelle.
Ce décalage s'estompe dans les années 1970, c'est un des ressort du rattrapage du profil national. Il s'estompe dans les banlieues d'agglomérations et la progression de la Gauche se propage aux villes-centres, notamment les plus importantes dans la fin de la décennie 70, précisément aux Municipales de 1977.
Lors de ces Municipales, des villes aussi importante que Rennes, Nantes, Le Mans, Brest, sont emportées par des listes d'union de la Gauche. Se mettent en place des équipes et des maires dont certains sont encore à la tête de leur ville.
Dans le même temps, avec moins d'ampleur d'abord et moins d'aspects spectaculaires, le second phénomène d'extension spatiale de l'influence de la Gauche se met en place. Les villes petites et moyennes lors des Législatives de 73 votent nettement plus à Gauche que les décennies précédentes. Elles récidivent lors des Présidentielles de 1974. Elles persistent lors des Municipales de 77, puis des cantonales de 79. Un nouveau seuil sera franchi dans la décennie 80.
Le rattrapage du profil électoral qui se produit dans le Grand Ouest au cours des années 70 s'effectue donc par une hausse de niveau général, répartie spatialement quasi uniformément et par une poussée très significative centrée sur les zones urbaines et péri-urbaine.
Analysée en termes de transferts d'influence électorale, nous avons vu que la poussée de la Gauche se faisait principalement au bénéfice du Parti-Socialiste attirant des voix qui antérieurement se portaient sur le Centre Droit et le Gaullisme
Qu'en est-il en termes de couches sociales ? Peut-on déceler un rapport cohérent entre l'évolution socio-économique que connaît le Grand Ouest dans cette période et le changement de comportement électoral. Pour apporter quelques éléments de réponses à cette question, nous proposons un détour par l'évolution économique et une mesure effectuée sur l'une des régions du Grand Ouest, la Basse Normandie.
Au cours de la période de croissance longue que connaît l'économie internationale de 1945 à 1975, l'Ouest français se trouve dans une situation particulière. Au début de cette période il est très peu industrialisé. L'activité industrielle est restreinte à quelques zones très ponctuelles, constituées autour des ports (St-Nazaire - Nantes), la plupart du temps des ports-arsenaux (Lorient - Brest- Cherbourg), autour d'activités d'extraction de matières premières et de sites de transformation (le cas isolé de la sidérurgie à Caen, ardoisières, minerai de fer, tréfilerie, etc...). Plus diffuses, des activités telles que le tissage, dont la forme proto-industrielle était largement présente depuis plusieurs siècles (au XIVè et XVè, le commerce du drap en provenance de l'Ouest intérieur représentait des valeurs importantes), ont déjà connu le déclin de leur forme industrialisée du XIXè siècle. Dans l'ensemble la répartition socio-professionnelle et la structure économique de l'immédiat après-guerre ne diffère qu'assez peu de la situation de début du siècle. L'Ouest de 1945 est bien proche de celui qu'a connu André Siegfried.
L'agriculture domine largement, l'industrie est faible, les actifs agricoles sont majoritaires parmi les actifs, la population active industrielle est peu nombreuse et en dehors de quelques unités très particulières (notamment les arsenaux), de faible qualification.
Le troisième trait distinctif qu'il est utile de relever concerne la démographie. L'ensemble de l'Ouest français connaît une forte vitalité démographique, le taux de natalité est notablement plus important que la moyenne française. Cette situation n'est pas du tout conjoncturelle, c'est une caractéristique ancienne de l'Ouest et du Nord français. Peu d'explications générales assurées ont été apportées à cet état de fait, il faut sans doute aller chercher dans l'entrelacement particulier des structures familiales et des schémas culturels. Cette dynamique démographique a largement nourri les vagues d'émigration vers le Nouveau Monde depuis le XVIIè, et au milieu du XXè siècle elle va soutenir la mutation socio-économique du Grand-Ouest. En conservant cette dynamique sur place, le développement, d'extensif devient intensif.
Les caractéritiques du régime d'accumulation d'après-guerre, le type de croissance, font du Grand Ouest français, une terre de prédilection pour l'implantation d'unités industrielles. L'apparition généralisée d'usines de production à la chaîne, intégrant l'organisation du travail taylorienne , génère un important besoin de main-d'oeuvre. La conjonction des besoins de constructions neuves, de besoins d'usines plus grandes, du désir de terrains peu coûteux, de la volonté de s'éloigner des influences syndicales puissantes, et de la volonté d'État de désengorger la région parisienne, fait de l'Ouest une des zones potentiellement intéressantes pour l'implantation d'activités industrielles.
Parallèlement la modernisation de l'agriculture, tant des marchés que des méthodes de culture et d'exploitation, pose en termes radicalement différents de ce qu'ils étaient antérieurement, la question de l'emploi agricole. L'agriculture n'a plus besoin d'autant de bras en même temps que l'appel de main d'oeuvre du bâtiment d'abord pendant la période de reconstruction, puis de l'industrie ensuite pendant la période de croissance, se fait de plus en plus fort.
Les effectifs employés dans l'industrie font un bond spectaculaire. En une vingtaine d'années, du début des années 1950 au début des années 70, plus de 200.000 emplois industriels sont créés dans l'Ouest. En Basse Normandie, entre 1954 et 1982, l'industrie passe de 127.000 personnes employées à 210.000, soit un bond de 96 %, ce qui est le taux de croissance le plus fort de l'ensemble français. Les salariés dans leur ensemble dans cette même région de 248.000 en 1954, atteignent le nombre de 389.000 en 1982.
Cette évolution est d'autant plus spectaculaire, que là aussi, le niveau de départ était faible. Il n'en demeure pas moins que la transformation a nécessairement des effets importants et que les changements en masse, non seulement en proportion, sont également importants. La structure socio-professionnelle de la population active s'est quasiment inversée en moins d'une génération. De la situation de prédominance écrasante des actifs agricoles d'après-guerre, strict prolongement de la situation du début de siècle, la situation est devenue celle d'une majorité de salariés de l'industrie et du tertiaire, et d'une minorité allant s'accentuant à un rythme accéléré des actifs agricoles.
Le changement d'équilibre au sein de la population s'est d'abord fait en direction de l'industrie, puis s'est rapidement doublée, comme sur le plan national, d'une progression de l'emploi tertiaire. Ce sont là deux tendances lourdes de l'emploi des pays industrialisés. D'abord la forte croissance de l'emploi manufacturier au cours des années 50-70, puis de l'emploi tertiaire, légèrement décalé. La progression de l'emploi industriel a été stoppée lors des premières récessions des années 70, l'emploi tertiaire s'est ralenti mais a continué de progresser.
L'Ouest français a connu cette évolution sur moins d'une génération, à un rythme particulièrement accéléré.
Cette évolution s'est effectuée de façon accéléré pendant la période de croissance. Elle s'est atténué mais est demeurée toujours présente pendant la période de crise puis de croissance ralentie. Au cours des années 80, le solde de l'emploi total s'est souvent révélé positif dans la plupart des régions de l'Ouest français, à la différence des nombreuses autres régions françaises ou européennes.
A ces transformations très substantielles que vit la population active, il faut ajouter l'évolution de l'insertion des femmes dans le monde du travail, et donc ce qui est présupposé derrière mon propos, l'évolution de leur rapport au Politique en général et à la politique électorale en particulier. Le taux d'activité des femmes est, de façon ancienne, important dans l'Ouest français. On est là dans des phénomènes pluri-décennaux, voire pluri-séculaires, comme pour les taux de natalité. Il est très tentant de suivre en partie sur ce point les hypothèses formulées par Todd et Le Bras sur le rôle des structures familiales. La famille mononucléaire, couplée aux rapports économiques mis en place dans le cadre de petites exploitations familiales et de développement ancien d'ateliers familiaux et proto-industrie, est sans doute un élément de base de cette activité féminine importante et ancienne.
Lorsque l'emploi agricole a chuté et que simultanément les nouvelles industries de montage à la chaîne se sont implantées, les jeunes femmes, les nombreuses jeunes femmes, il faut le souligner, sont massivement entrées dans le monde du travail industriel. Le processus n'est évidemment pas unilatéral, il peut être lu dans l'autre sens : parce que la disponibilité de nombreux jeunes, femmes en particulier, issus du monde rural, même si ce n'était pas directement de l'activité agricole, était visible sur le marché du travail, de nombreuses activités industrielles à la chaîne se sont préférentiellement implantées dans l'Ouest de la France.
Le changement n'a pas été celui d'une forte progression du taux d'activité féminin, comme cela s'est produit pour la moyenne française. Le changement est celui d'un passage d'une activité féminine forte dans l'agriculture à une activité féminine forte dans l'industrie et dans le tertiaire. Les rapports sociaux dans lesquels les jeunes femmes se sont retrouvées engagées n'étaient guère comparables. D'un monde de proximité, relativement clos, plus centré sur la structure familiale comme cadre d'exercice professionnel, elles sont passées à un monde industriel caractérisé par des influences plus lointaines, nationales le plus souvent, où les rapports institutionnalisés (organisation de l'entreprise, organisation syndicale, organisation de santé et protection sociale, etc...) prenaient le pas.
Très rapidement, comme cela s'est produit pour l'ensemble national, la croissance de l'emploi industriel s'est doublée nous l'avons dit, d'une croissance de l'emploi tertiaire. Cet emploi tertiaire est fortement investi par les femmes. Une partie croissante des classes d'âge jeunes et nombreuses qui sont arrivées sur le marché du travail dans les années 60 - 70 ont intégré ces nouveaux emplois.
Ce changement est souligné pour les jeunes femmes, qui ont été particulièrement nombreuses à connaître cette véritable mutation, il vaut évidemment aussi pour les jeunes hommes qui l'ont connu également. Notre propos était de souligner que par delà le changement socio-professionnel général, celui des femmes, jeunes entre 1955 et 1975, avait été particulièrement spectaculaire dans l'Ouest. Il ne pouvait qu'avoir de multiples conséquences sur la vie sociale et donc entre autres sur les comportements électoraux.
Ces emplois ne sont pas disséminés. Bien que des créations industrielle aient eu lieu dans des chefs lieux de cantons ruraux, l'essentiel des créations se concentrent sur les agglomérations. C'est pourquoi au cours de cette période dans l'Ouest français, mais également dans de nombreuses régions, la croissance de l'emploi industriel et tertiaire est concomitante de la croissance urbaine.
Ces emplois nourrissent la croissance des agglomérations, la poussée des ZUP et des cités pavillonnaires qui voient le jour dans tous les départements de l'Ouest. Des quartiers entiers, parfois de véritables villes nouvelles, naissent. Dans ces quartiers, dans ces nouvelles périphéries, dans ces villes, petites et moyennes, en expansion, s'installent au cours des années 60 et 70 les populations jeunes qui viennent pour beaucoup de zones rurales.
Ces populations, au travers de leurs expériences nouvelles, créent de nouveaux comportements sociaux. Ces expériences nouvelles sont façonnées dans les lieux de travail et les lieux de vie. Ces nouveaux comportements ne sont pas en rupture brutale avec leurs expériences antérieures, avec les noyaux familiaux. Ils intègrent même beaucoup de cet héritage, mais ils l'intègrent dans un nouveau mélange où le quotidien nouveau pèse de plus en plus, et supplante la situation passée et héritée.
Analysée en termes de transferts d'influence électorale, nous avons vu que la poussée de la Gauche se faisait principalement au bénéfice du Parti-Socialiste attirant des voix qui antérieurement se portaient sur le Centre Droit et le Gaullisme
Qu'en est-il en termes de couches sociales ? Peut-on déceler un rapport cohérent entre l'évolution socio-économique que connaît le Grand Ouest dans cette période et le changement de comportement électoral. Pour apporter quelques éléments de réponses à cette question, nous proposons un détour par l'évolution économique et une mesure effectuée sur l'une des régions du Grand Ouest, la Basse Normandie.
Au cours de la période de croissance longue que connaît l'économie internationale de 1945 à 1975, l'Ouest français se trouve dans une situation particulière. Au début de cette période il est très peu industrialisé. L'activité industrielle est restreinte à quelques zones très ponctuelles, constituées autour des ports (St-Nazaire - Nantes), la plupart du temps des ports-arsenaux (Lorient - Brest- Cherbourg), autour d'activités d'extraction de matières premières et de sites de transformation (le cas isolé de la sidérurgie à Caen, ardoisières, minerai de fer, tréfilerie, etc...). Plus diffuses, des activités telles que le tissage, dont la forme proto-industrielle était largement présente depuis plusieurs siècles (au XIVè et XVè, le commerce du drap en provenance de l'Ouest intérieur représentait des valeurs importantes), ont déjà connu le déclin de leur forme industrialisée du XIXè siècle. Dans l'ensemble la répartition socio-professionnelle et la structure économique de l'immédiat après-guerre ne diffère qu'assez peu de la situation de début du siècle. L'Ouest de 1945 est bien proche de celui qu'a connu André Siegfried.
L'agriculture domine largement, l'industrie est faible, les actifs agricoles sont majoritaires parmi les actifs, la population active industrielle est peu nombreuse et en dehors de quelques unités très particulières (notamment les arsenaux), de faible qualification.
Le troisième trait distinctif qu'il est utile de relever concerne la démographie. L'ensemble de l'Ouest français connaît une forte vitalité démographique, le taux de natalité est notablement plus important que la moyenne française. Cette situation n'est pas du tout conjoncturelle, c'est une caractéristique ancienne de l'Ouest et du Nord français. Peu d'explications générales assurées ont été apportées à cet état de fait, il faut sans doute aller chercher dans l'entrelacement particulier des structures familiales et des schémas culturels. Cette dynamique démographique a largement nourri les vagues d'émigration vers le Nouveau Monde depuis le XVIIè, et au milieu du XXè siècle elle va soutenir la mutation socio-économique du Grand-Ouest. En conservant cette dynamique sur place, le développement, d'extensif devient intensif.
Les caractéritiques du régime d'accumulation d'après-guerre, le type de croissance, font du Grand Ouest français, une terre de prédilection pour l'implantation d'unités industrielles. L'apparition généralisée d'usines de production à la chaîne, intégrant l'organisation du travail taylorienne , génère un important besoin de main-d'oeuvre. La conjonction des besoins de constructions neuves, de besoins d'usines plus grandes, du désir de terrains peu coûteux, de la volonté de s'éloigner des influences syndicales puissantes, et de la volonté d'État de désengorger la région parisienne, fait de l'Ouest une des zones potentiellement intéressantes pour l'implantation d'activités industrielles.
Parallèlement la modernisation de l'agriculture, tant des marchés que des méthodes de culture et d'exploitation, pose en termes radicalement différents de ce qu'ils étaient antérieurement, la question de l'emploi agricole. L'agriculture n'a plus besoin d'autant de bras en même temps que l'appel de main d'oeuvre du bâtiment d'abord pendant la période de reconstruction, puis de l'industrie ensuite pendant la période de croissance, se fait de plus en plus fort.
Les effectifs employés dans l'industrie font un bond spectaculaire. En une vingtaine d'années, du début des années 1950 au début des années 70, plus de 200.000 emplois industriels sont créés dans l'Ouest. En Basse Normandie, entre 1954 et 1982, l'industrie passe de 127.000 personnes employées à 210.000, soit un bond de 96 %, ce qui est le taux de croissance le plus fort de l'ensemble français. Les salariés dans leur ensemble dans cette même région de 248.000 en 1954, atteignent le nombre de 389.000 en 1982.
Cette évolution est d'autant plus spectaculaire, que là aussi, le niveau de départ était faible. Il n'en demeure pas moins que la transformation a nécessairement des effets importants et que les changements en masse, non seulement en proportion, sont également importants. La structure socio-professionnelle de la population active s'est quasiment inversée en moins d'une génération. De la situation de prédominance écrasante des actifs agricoles d'après-guerre, strict prolongement de la situation du début de siècle, la situation est devenue celle d'une majorité de salariés de l'industrie et du tertiaire, et d'une minorité allant s'accentuant à un rythme accéléré des actifs agricoles.
Le changement d'équilibre au sein de la population s'est d'abord fait en direction de l'industrie, puis s'est rapidement doublée, comme sur le plan national, d'une progression de l'emploi tertiaire. Ce sont là deux tendances lourdes de l'emploi des pays industrialisés. D'abord la forte croissance de l'emploi manufacturier au cours des années 50-70, puis de l'emploi tertiaire, légèrement décalé. La progression de l'emploi industriel a été stoppée lors des premières récessions des années 70, l'emploi tertiaire s'est ralenti mais a continué de progresser.
L'Ouest français a connu cette évolution sur moins d'une génération, à un rythme particulièrement accéléré.
Cette évolution s'est effectuée de façon accéléré pendant la période de croissance. Elle s'est atténué mais est demeurée toujours présente pendant la période de crise puis de croissance ralentie. Au cours des années 80, le solde de l'emploi total s'est souvent révélé positif dans la plupart des régions de l'Ouest français, à la différence des nombreuses autres régions françaises ou européennes.
A ces transformations très substantielles que vit la population active, il faut ajouter l'évolution de l'insertion des femmes dans le monde du travail, et donc ce qui est présupposé derrière mon propos, l'évolution de leur rapport au Politique en général et à la politique électorale en particulier. Le taux d'activité des femmes est, de façon ancienne, important dans l'Ouest français. On est là dans des phénomènes pluri-décennaux, voire pluri-séculaires, comme pour les taux de natalité. Il est très tentant de suivre en partie sur ce point les hypothèses formulées par Todd et Le Bras sur le rôle des structures familiales. La famille mononucléaire, couplée aux rapports économiques mis en place dans le cadre de petites exploitations familiales et de développement ancien d'ateliers familiaux et proto-industrie, est sans doute un élément de base de cette activité féminine importante et ancienne.
Lorsque l'emploi agricole a chuté et que simultanément les nouvelles industries de montage à la chaîne se sont implantées, les jeunes femmes, les nombreuses jeunes femmes, il faut le souligner, sont massivement entrées dans le monde du travail industriel. Le processus n'est évidemment pas unilatéral, il peut être lu dans l'autre sens : parce que la disponibilité de nombreux jeunes, femmes en particulier, issus du monde rural, même si ce n'était pas directement de l'activité agricole, était visible sur le marché du travail, de nombreuses activités industrielles à la chaîne se sont préférentiellement implantées dans l'Ouest de la France.
Le changement n'a pas été celui d'une forte progression du taux d'activité féminin, comme cela s'est produit pour la moyenne française. Le changement est celui d'un passage d'une activité féminine forte dans l'agriculture à une activité féminine forte dans l'industrie et dans le tertiaire. Les rapports sociaux dans lesquels les jeunes femmes se sont retrouvées engagées n'étaient guère comparables. D'un monde de proximité, relativement clos, plus centré sur la structure familiale comme cadre d'exercice professionnel, elles sont passées à un monde industriel caractérisé par des influences plus lointaines, nationales le plus souvent, où les rapports institutionnalisés (organisation de l'entreprise, organisation syndicale, organisation de santé et protection sociale, etc...) prenaient le pas.
Très rapidement, comme cela s'est produit pour l'ensemble national, la croissance de l'emploi industriel s'est doublée nous l'avons dit, d'une croissance de l'emploi tertiaire. Cet emploi tertiaire est fortement investi par les femmes. Une partie croissante des classes d'âge jeunes et nombreuses qui sont arrivées sur le marché du travail dans les années 60 - 70 ont intégré ces nouveaux emplois.
Ces nouveaux comportements touchent de multiples domaines de la vie quotidienne, familiale, ils touchent même les aspects religieux. Ils touchent à la relation parents/enfants, au statut de la femme dans la cellule familiale, aux rapports entre générations, au rapport à la formation etc. Ils constituent un vaste ensemble dont les comportement politiques, les comportements électoraux en particulier ne sont qu'une facette, et qui plus est une facette à un moment donné, celui des échéances électorales. Néanmoins ce comportement électoral est un des modes d'enregistrement et d'expression de ces nouveaux comportements issus des nouvelles situations économiques, sociales et spatiales de la période 1960-1970.
Ce sont ces couches sociales de salariés qui constituent le support de la baisse structurelle de la Droite au cours des années 70 et de la progression de la Gauche, en particulier du Parti Socialiste.
Pour autant le phénomène n'est ni mécanique, ni linéaire : Premièrement, il n'y a pas eu d'effets immédiats de ces changements socio-économiques sur les comportements électoraux. Deuxièmement, toutes ces couches sociales salariées, ouvriers et employés ne se comportent pas de façon homogène et égale dans l'espace.
Ces deux remarques valent pour le contexte national qui est de même nature, mais elles valent particulièrement pour l'Ouest pour lequel nous nous sommes attachés à souligner que le phénomène avait connu plus de vigueur, plus d'ampleur, un pas plus rapide, dû au fait du décalage antérieur et de l'introduction rapide de changements économiques.
Il n'y a pas eu simultanéité des processus de changements économiques, des changements de tissu urbain et des changements de comportements électoraux.
Reprenons pour nous en assurer un découpage séquentiel : lorsque le Gaullisme est à son apogée, la croissance urbaine et la croissance de la population salariée (majoritairement ouvrière et employée) sont déjà à l'oeuvre. On peut même soutenir le point de vue que le Gaullisme a été une des formes politiques de rupture/transition, marquée par le régime présidentiel et la constitution de la Vè République, qui a permis de répondre aux contradictions montantes des débuts de la période de croissance accélérée et aux craquellements que celle-ci introduisait dans le vieux corps politique et social de la IVè République.
Une grande partie des employés, ouvriers, cadres moyens, dont le nombre grossit d'année en année, vote à Droite, et particulièrement gaulliste dans l'Ouest Français. Alors que la structure socio professionnelle a déjà changé, l'Ouest reste politiquement décalé d'avec la moyenne française.
Deux ordres de raisons peuvent contribuer à expliquer cette disjonction. Un premier ordre qui prédomine est la situation politique nationale, marquée par le contexte de fin de guerre froide, et de guerres d'émancipation nationale des restes des empires au niveau international, de défaite de la Gauche en 1958, de décrépitude de la SFIO et de victoire politique complète du Gaullisme au niveau national. Cette situation nationale est faite d'influence majoritaire à Droite. L'Ouest s'y fond en l'amplifiant, combinant ses héritages anciens et la situation majoritaire du moment. Il aurait fallu qu'il diverge de façon très atypique, qu'aucun ressort politique ne pourrait expliquer, pour qu'il se soustrait à la tendance nationale dominante.
Un deuxième ordre de raison se combine au premier. Pour tous ces émigrants intérieurs, ces nouveaux urbains pour la plupart, les cadres mentaux, les références idéologiques, les perceptions des rapports sociaux, qui dominent sont ceux d'avant. D'avant ces grands changements qu'ils vivent au cours des années 60-70. Ces cadres mentaux sont ceux de la ruralité et de l'ordre notabiliaire.
Pour qu'ils se dissolvent, se modifient, il faut du temps et des expériences. Les nouveaux comportements dont nous faisions mention précédemment, émergent par tâtonnements successifs au cours de dix à quinze années d'expériences nouvelles dans les entreprises industrielles ou tertiaires et dans les villes ou leurs périphéries.
Le début des années 70 marque le moment où ces couches salariées urbanisées ou dans le péri-urbain soit, de part leur âge accèdent au vote et se tournent préférentiellement tout de suite vers la gauche, soit, toujours de par leur âge se détachent du vote gaulliste qui était le leur dans les années 60, se détournent de la Droite en général et votent à Gauche.
Le cumul de ces processus constituent la base sociale de la poussée particulièrement vive de la Gauche et de la perte d'influence de la Droite dans l'Ouest. Il est assez difficile sans cela de rendre compte de l'évolution décalée, puis accélérée de l'Ouest dans l'ensemble français.
Il faut insister sur le fait qu'il existe une relation dialectique entre le processus politique, les changements économiques et sociaux et les phénomènes spatiaux. Cette relation dialectique inclut nécessairement les décalages dans le temps. Il n'existe pas de relations mécaniques entre chacun des processus appelés dans l'explication de ces changements. Une relation mécanique qui associerait vulgairement statut socio-économique et orientation électorale ne permettrait en rien de rendre compte des décalages, des nuances, de l'articulation national/régional.
Cette relation couches salariées urbaines et péri-urbaines / poussée vive de la Gauche dans l'Ouest va durer toute la décennie 1970. Elle se déclenche nettement, nous l'avons dit, lors des législatives de 1973, dans la foulée de la poussée nationale ; elle suit toujours d'un pas accéléré la même tendance nationale lors des présidentielles de 1974, des élections municipales de 1977, des élections législatives de 1978, et même des élections cantonales de 1979.
L'élection présidentielle de 1981 constitue à la fois un aboutissement et un seuil. Un aboutissement car, au terme d'une décennie de progression, le candidat de la Gauche F. Mitterrand, en l'emportant nationalement, obtient les meilleurs scores dans l'Ouest que la Gauche ait recueilli jusqu'alors. En cela c'est l'aboutissement d'une poussée électorale d'opposition.
Il s'agit d'un seuil également, car les scores du candidat Mitterrand de 1981 seront dépassés au cours de la décennie 1980, lors d'élections locales (cantonales, municipales) ou nationales (législatives). Le contexte est devenu totalement différent, il s'agit d'une majorité présidentielle. Jouent alors une dimension légitimiste et à l'opposé une réaction de refus de la gestion en place. La première, comme c'est le lot dans toute domination politique prévaudra immédiatement dans la foulée de 1981 et pour la présidentielle de 1988. La seconde s'affirmera petit à petit dès 1984-86, puis s'amplifiera dès 1989 jusqu'à la sanction sans appel des élections législatives de 1993.