Une combinaison dialectique d'héritages culturels, de pratiques et de changements sociaux et idéologiques

Auteur : Pascal Buléon


Le modèle qui en émerge n'est pas une construction lourde, intangible, répondant à une seule cause, quelle soit économique, idéologique ou culturelle. C'est justement une combinaison au sens fort du terme, une combinaison dialectique où s'entrelacent les héritages, les pratiques, les changements dans les différentes sphères sociales, les espaces de vie et de travail dans lesquels ils se développent, les références et les valeurs morales, éthiques et politiques qui font repère, les programmes, les partis et les personnalités politiques qui se présentent aux électeurs.

Cette combinaison est un composé complexe à un moment donné en différents points du territoire. C'est ainsi que la même conjoncture politique nationale prend forme de façon légèrement différente selon les régions. C'est la différenciation spatiale. Elle est aussi un composé dynamique sur une trajectoire temporelle où se combinent les héritages spécifiques à des régions, les héritages d'ampleur nationale et la matrice historique et spatiale contemporaine. C'est ainsi que le modèle de l'Ouest hérite des matrices historiques et spatiales antérieures, de l'hégémonie d'une Droite sur plusieurs générations, d'un système notabiliaire et d'une société rurale dominante.

Les changements qui sont intervenus dans le cours des années 1960 et 1970 n'ont pas brusquement balayé ces héritages ; ils les ont d'abord « teintés » d'une tonalité légèrement différente, puis progressivement dissonante, au point au bout d'un certain temps de les modifier profondément. Ce certain temps a assuré le passage dans une nouvelle matrice historique et spatiale, celle que l'on peut borner du milieu des années 1970 à la fin du siècle. De la fin de la période de croissance accélérée, de l'arrivée de la génération du baby-boom à l'âge adulte, des débuts de récession et de mutation du travail industriel aux années de reprise économique plus vive, de l'affirmation de nouvelles filières d'activité, juxtaposées à un fond de chômage endémique, à une urbanisation générant du mal-être, à une montée de conscience des problèmes de l'environnement sur la planète. Ces traits de la matrice historique et spatiale contemporaine ne la résument à eux seuls. Il faudrait y ajouter de nombreux autres, en particulier pour la détermination des comportements politiques, la présence au monde de chaque citoyen et électeur français plus forte, plus immédiate. Le développement des réseaux de communication et du système audiovisuel y jouant un rôle essentiel, ainsi que l'insertion plus importante dans le contexte mondial des activités économiques, qui font se rapprocher le local et le mondial, le quotidien et le vaste monde.

Il y a donc bien une combinaison particulière qui s'est dégagée de ces dynamiques historiques, sociales et spatiales, qui a une homogénéité au niveau de l'état-nation, mais également au niveau d'ensembles à l'intérieur du territoire national qui ont des caractéristiques communes les différenciant suffisamment d'autres parties du territoire. C'est le cas de l'Ouest de la France. Il n'y a là nulle trace de « tempérament ».

Cette vieille notion des débuts de la sociologie a fait fortune. Siegfried en a usé dans son ouvrage fondateur le Tableau politique de la France de l'Ouest, elle revient parfois aujourd'hui au détour d'une explication qui tourne court, pour couvrir le trop compliqué à démêler, le caractère durable ou répétitif d'attitudes et comportements. Le tempérament est une amulette pour couvrir la complexité, il n'est plus, si tant est qu'il ait jamais pu être, un concept explicatif.

Le tempérament a constitué une tentative pour expliquer le complexe, le difficile à expliquer, l'entremêlement de multiples facteurs, l'irréductible après une série d'hypothèses. Un essai pour étiqueter l'héritage lointain, les permanences de comportements, les capacités d'absorption d'un système social, de prévalence de valeurs par-delà la succession de formations socio-spatiales et de matrices historiques, la prééminence de groupes sociaux et d'attitudes par-delà des générations et des changements de systèmes politiques.

Issu du sang, dans une version naturaliste, ou issu du sol, dans une version déterministe, le tempérament est une vision mythique de la transmission de valeurs au sein de sociétés locales. Au tempérament, pour expliquer une cohérence systématique de comportements en des espaces donnés, nous suggérons de substituer héritages historiques, pratiques sociales et matrices historiques et spatiales.


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