Homogénéisation nationale et création simultanée de différenciations régionales

Auteur : Pascal Buléon


Deux grandes tendances se sont développées conjointement, se sont nourries l'une de l'autre : une homogénéisation nationale relative et le renouvellement de spécificités régionales. Ces deux tendances de la formation du paysage électoral contemporain français ne se sont pas bâties l'une contre l'autre. Les spécificités régionales qui ne se sont pas maintenues, par référence à des situations antérieures, mais qui se sont renouvelées, ne sont pas construites contre les tendances et le modèle national. Elles se sont construites avec, en l'infléchissant et le modelant.

La matrice est nationale ; plus que centralisée, elle est au début de ce XXIe, par l'extraordinaire présence des médias télévisuels et radios, ubiquiste. Il n'y a pas d'écart de temps dans l'écho d'une question, d'une campagne, d'un retournement de position politique d'un bout à l'autre du territoire français. Plus que la maintenant vieille administration républicaine centralisée, plus que la représentation nationale en séance en début de semaine à Paris et dans sa circonscription en fin de semaine, plus que la structuration nationale des partis, la pénétration des médias audio (à la très forte écoute) et télé, - loin devant les médias de presse écrite dont les français ne sont pas gros lecteurs -, a construit les fondements et les variations conjoncturelles de l'homogénéisation nationale. L'écho et la mise en scène médiatique des débats politiques, la synchronisation des campagnes, des débats et des messages ont, petit à petit, homogénéisé un spectre d'opinions. Ce rôle prééminent des médias est entré en résonance avec des évolutions profondes du corps social, de la population et du pays.

Cette homogénéisation, au bout de quatre décennies, comme on a pu le voir à mi-parcours dans les années 1980 alors que le processus était déjà bien affirmé, ne s'est pas traduit par un écrêtement, un lissage, une uniformisation. Cette interprétation aurait pu se faire jour dans le début des années 1980, selon une grille simple, trop simple : réduction des écarts Droite/Gauche, affirmation du leadership d'un parti dominant dans chaque camp, et alternance avec variations au sein de ces deux ensembles : blocs Droite/Gauche et parti dominant. C'est même l'inverse qui s'est produit : c'est dans la décennie 1990 que de nouvelles spécificités régionales se sont fait jour et ont été confirmées début 2000, des Régionales de 1992 à celles de 1998 en passant par les Présidentielles de 1995 et les Législatives de 1997 jusqu'aux Présidentielles et Législatives 2002. Pour autant, ces spécificités n'ont pas nié l'homogénéisation nationale relative, elles se sont faites autour et dans son sein. Même la plus divergente, celle de Provence-Alpes-Côte d'Azur, n'est pas hors de la matrice nationale, même si elle est extrêmement déformée, comparée aux autres régions.

Ces nouvelles caractéristiques régionales se sont construites autour des modes d'équilibrage Droite/Gauche et de l'apparition de nouvelles forces. Partant de situations beaucoup plus contrastées dans les années 1950 dans le rapport de force Droite/Gauche, la façon dont se sont combinés ces héritages et les changements politiques des années 1970 a donné les configurations des années 1980 : fort recul du PC et tassement de la Gauche dans le Sud-Est, fort recul du PC et maintien d'une Gauche dominée par le PS dans le Nord, poussée accélérée d'une Gauche dominée par le PS dans l'Ouest, progression de la Droite dans les vieilles terres électorales de Gauche dans le Nord et le Sud-Ouest. Apparition partout, avec des pointes départementales et régionales régulières du vote écologiste. Apparition partout mais avec des seuils différents, du Front National. Le partage Est-Ouest, selon un axe Le Havre - Perpignan, d'une France plus touchée par ce vote, d'une autre moins encline, s'est systématisé tout au long de la décennie 1990 et du début décennie 2000, par-delà des variations plus localisées. Pour l'Ouest, la position du Front National est le critère le plus discriminant. C'est sur ce point que l'ensemble des trois régions diffère le plus des autres parties du territoire. C'est la combinaison des quatre traits qui l'écarte des profils des autres régions de la moitié Ouest de la France telles que la région Centre ou Poitou-Charentes.


Haut