Le Front National a réussi sa percée après l'élection locale de Dreux, aux élections européennes de 1984. Mélange de votes d'extrême droite, de votes protestataires, exutoires des peurs du lendemain et expression de xénophobie, le vote Front National a été abondamment analysé. La présence électorale du Front National constitue un des faits marquants de la décennie 1980, avec en point d'orgue les 14 % de J.M. Le Pen au premier tour de l'élection présidentielle de 1988.
Le Front National dans l'ensemble de l'Ouest n'atteint pas ses moyennes nationales. Tout au long de ces quinze dernières années, il sera systématiquement en deçà de ses scores nationaux dans la plupart des départements de l'Ouest. Conséquence de son caractère composite, il est relativement homogène dans l'espace. Ce n'est pas dans l'Ouest un vote spécialement développé en zones urbaines. Surtout à ses débuts, 1984-1988, les zones de grands ensembles qui, en d'autres régions l'ont fait dépasser localement les 15 %, ne lui accordent pas ce niveau d'influence ; pas plus que leur opposé social, les quartiers à revenus élevés qui auraient pu suivre le XVIe arrondissement parisien. Ces quartiers lui donnent jusqu'en 1988 des scores nettement plus faibles que la moyenne.
Les points les plus forts sont les littoraux. De la Normandie à la Loire-Atlantique, les communes balnéaires lui accordent des suffrages plus élevés. L'est de la Basse-Normandie lui accorde également régulièrement de meilleurs résultats, en auréole de l'influence du Front National dans le Bassin Parisien.
Progressivement, à compter de 1986, le Front National progresse dans l'Ouest, obtient même un conseiller général dans la Manche dans le canton de Canisy au sud de Saint-Lô, en 1988. Cette progression comble un peu, mais n'efface pas le décalage d'avec les moyennes nationales. Le caractère très composite et multiforme de ce vote rend difficile à l'inverse de proposer une explication simple et générale de ce différentiel entre l'Ouest et l'ensemble national.
Quelques facteurs peuvent être néanmoins mentionnés pour rendre compte de cet écart. La composante xénophobe du vote n'est pas directement liée à la présence d'immigrés, elle fait partie des remugles que la vie politique d'une nation fait réémerger dans des situations plus incertaines. Néanmoins elle s'exacerbe avec la visibilité, plus que la proximité de communautés immigrées, notamment maghrébine ou africaines. L'Ouest français compte une très faible proportion de population immigrée et ce facteur ne vaut donc que pour la dimension idéologique qu'il a prise nationalement sans exacerbation locale particulière.
Le déplacement de voix du Parti Communiste vers le Front National dont on a vu qu'il s'était réellement produit dans les départements de la ceinture parisienne, dans le Sud-Est de la France en Provence et Côte d'Azur notamment, est encore plus faible. Ce déplacement a principalement concerné des couches sociales très touchées par la crise économique, de niveau de formation très faible. Dans quelques isolats d'ancienne industrie, laminés par les restructurations, souvent à la dérive sociale, tels Dives-sur-Mer dans le Calvados, on peut observer quelques phénomènes de ce type. Dives-sur-Mer était un site de tréfilerie du cuivre installé lors de la Première guerre mondiale, foyer syndical CGT, leader dans la métallurgie à la moitié du siècle, qui eut un député-maire communiste jusqu'au début des années 1980. La suppression du site industriel entraîna petit à petit la fraction de la population la moins adaptable, dans les difficultés sociales les plus grandes. La perte d'influence du PCF s'est accompagnée d'une pénétration des thèmes du Front National. Ces cas existent mais restent isolés et sont lissés à l'échelle d'un score départemental.
Le vote Front National est également un vote contre les partis traditionnels, contre la classe politique, contre "le système", mélangeant les affaires, l'impuissance politique et les ententes. Dans les débuts de son essor, il est aussi une affirmation radicale, tribunitienne d'une opposition au gouvernement des formations de Gauche (PS, PCF, Radicaux de gauche) qui attire une fraction de l'électorat de Droite, déçu de ses partis traditionnels, mais radicalement opposé à la Gauche. Il se nourrit de la crise des notables et se loge dans les interstices des pouvoirs locaux affaiblis. Néanmoins, bien qu'en voie de restructuration, le système notabiliaire n'a pas disparu. Il est frappant de voir le score du Front National progresser lors d'élections européennes, où les élus sont lointains, lors du premier tour de la Présidentielle de 1988, où les notables locaux ne sont pas en jeu et où la fonction tribunitienne d'un Le Pen joue pleinement, et se tasser, voire régresser lorsque dans les élections locales, une personnalité de droite, appartenant à un parti ou sans étiquette, mais bénéficiant d'une "surface locale", selon le terme en usage, occupe largement son terrain politique.
Enfin, il est possible d'ajouter que l'influence encore présente de l'Eglise catholique, la culture démocrate chrétienne qui est celle d'une partie de la Droite dans l'Ouest sont des freins importants à une progression du Front National. L'influence de l'Eglise depuis bien longtemps n'est plus directe, elle est médiée par des valeurs idéologiques de référence, et préférentiellement portée sur des hommes politiques. L'association influence de l'église catholique partage Droite/Gauche est encore lisible dans les rapports de forces mais comme un élément parmi d'autres et non plus déterminant. Par contre, il semble que les thèses du Front National se heurtent aux valeurs humanistes portées par les différentes fractions de l'électorat ayant suivi des chemins différents à droite derrière les héritiers de la Démocratie Chrétienne, à gauche dans les courants "cathos de gauche" soutiens du Parti Socialiste d'Epinay. Ces évolutions bien que différentes sont toutes moins perméables à un vote Front National.