Un second tour des Législatives 1997 qui efface 1993

Auteur : Pascal Buléon


Le premier tour des Législatives de 1997 voit deux des caractéristiques de l'Ouest maintenues, mais atténuées. Les Ecologistes sont toujours là, mais les résultats sont mitigés. Le FN est toujours plus faible mais à un niveau de base qui monte et des circonscriptions qui se rapprochent de la moyenne nationale. La Gauche est sortie de l'effondrement de 1993, confirme la reprise visible aux Présidentielles et réalise des scores élevés dans de nombreuses circonscriptions, particulièrement en Bretagne, et la plupart urbaines. La Droite, tout en y conservant parmi ses meilleures bases françaises, recule jusqu'à ses plus mauvais scores jamais enregistrés. Lemouvement de balancier est considérable par rapport à 1993, et pousse le profil dans la même trajectoire impulsée début des années 1990 en accentuant quelques traits. Pour le second tour, qui efface les nuances d'opinion pour se solder par une majorité relative, hormis les deux sièges d'Avranches et Vitré, et quelques ballottages très favorables, la plupart des situations étaient serrées.

Le second tour ne redresse rien pour la majorité RPR-UDF. Au contraire, il accentue légèrement le mouvement d'opinion du premier tour. La participation est meilleure : 71,13 % soit 28,87 % d'abstention. Une plus forte mobilisation au second tour est classique aux Législatives, après que le premier tour ait été parmi les plus fortes abstentions à des Législatives. Cette baisse de 4 points de l'abstention ramène le second tour de 1997 parmi les proportions moyennes de la Ve République : plus d'abstention en 1958, 1967, 1988 et 1993, moins en 1962, 1968, 1973, 1978 et 1981. La différence avec 1993 est très sensible : 4 points pour un résultat diamétralement opposé.

La Droite perd un siège sur deux et obtient 257 députés (dont 139 RPR, 109 UDF et 1 LDI). Le total de la représentation de la Droite représente autant que le groupe RPR seul de 1993, mais il avait à ses côtés, 206 UDF. La Gauche emporte 320 sièges, plus de trois fois les 99 sièges du résultat de 1993. Le PS allié aux Divers Gauche en compte 268 et quadruple le nombre de ses sortants, mais n'atteint pas les 276 élus de 1988. Le PC avec 35 députés atteint son meilleur résultat depuis 1981 (44 députés). Les Verts entrent pour la première fois à l'Assemblée Nationaleavec 8 députés.

Dans quarante-quatre départements, le PS double ses sièges, ou les multiplie plus encore. Parmi ceux-ci, plusieurs de l'Ouest. Treize régions ont une majorité de députés de Gauche.

La Bretagne est de celles-ci. Quinze sièges sur 26 reviennent à la Gauche. Cinq fois plus qu'en 1993. Les cinq circonscriptions des Côtes-d'Armor sont emportées par la Gauche (elle n'en avait conservé qu'une avec Charles Josselin en 1993). Dans la quatrième à Guingamp, est élu Félix Leyzour, le seul élu PC des trois régions Ouest. Hormis Guingamp, les scores dépassent ceux de Lionel Jospin.

Dans l'ensemble de l'Ouest, le mouvement d'opinion favorable à la Gauche et défavorable à la Droite, s'il se confirme partout, se traduit en sièges différemment : cela va de la reconduction avec un score moindre du sortant RPR ou UDF, au changement spectaculaire sur tout un département.

Les départements les plus stables du point de vue de la représentation sont la Manche et la Vendée où 4 sortants RPR-UDF (1 MPF en Vendée) sur 5 sont réélus, l'Orne et la Mayenne où les trois sortant repassent, le Maine-et-Loire où 6 sortants sur 7 conservent leur siège, et le Morbihan où 5 sur 7 sont réélus.

Les départements qui connaissent le plus de changements sont le Calvados dont 4 circonscriptions sur 5 changent d'orientation et de titulaires, le Finistère dont 5 des 8 circonscriptions font de même, puis à un degré moindre la Loire-Atlantique (4), la Sarthe (3) et les Côtes d'Armor. L'Ille-et-Vilaine est dans une situation d'entre deux. En plusieurs cas, le battu de 1998, PS, retrouve son siège perdu en 1993, c'est le cas pour Yvette Roudy, Claude Evin, Raymond Douyères, Jean-Claude Boulard, Guy-Michel Chauveau, Marylise Lebranchu, et Jean-Yves Le Drian. Le renouvellement des élus du PS n'est pas aussi important qu'en 1981 : 24 anciens ministres ou secrétaires d'Etat, 61 anciens députés (soit ¼ du groupe PS) retrouvent leurs sièges. Parmi les nouveaux élus de toutes orientations, nombreux sont ceux qui ont un ancrage local, 31 d'entre eux sont maires de villes de plus de 20 000 habitants. On mesure que l'on est dans le même moment politique, le personnel politique de Gauche qui a acquis ses positions locales et nationales dans le cours des années 1980 est celui qui mène en 1997 les batailles électorales, le personnel politique de Droite avait connu un fort renouvellement lors de la poussée de 1993, beaucoup de ces récents élus perdent leurs sièges en 1997. La configuration générale de ces zones de plus fort changement est à rapprocher, pour les opposer, de la crête de majorité maintenue pour la Droite, de la Manche à la Vendée, qui s'identifie depuis deux décennies.

Dans le Finistère, la Droite conserve Quimper et Landerneau. Les six autres circonscriptions sont emportées par la Gauche. Jacqueline Lazare (PS) bat Ambroise Guellec (UDF) à Douarnenez et François Cuillandre gagne à Brest-ouest jusqu'alors favorable à Droite. En 1988, la Gauche avait obtenu 4 circonscriptions, elle reprend 3 (mais pas Quimper) et gagne en plus Brest-ouest, Douarnenez et Châteaulin.

Le Morbihan est le département de moins bonne réussite de la Gauche en Bretagne. Ce n'est pas surprenant : des quatre, c'est là où les positions départementales de la Gauche sont les plus fragiles, en dépit de fortes progressions. Le contraste avec les Municipales est net. Sur six circonscriptions, la Gauche n'en reprend qu'une : celle de Lorient avec son maire J.Y. Le Drian qui l'avait perdu en 1993. Le niveau de 1988 n'est pas atteint, la Gauche avait emporté également Hennebont où elle échoue de 700 voix, en baisse par rapport au score Jospin.

L'Ille-et-Vilaine illustre une forte partition urbain / rural : les deux circonscriptions de Rennes (sud - nord) sont conservées, et celle de Rennes-ouest emportée par les députés PS, Jean-Michel Boucheron, Edmond Hervé et Marcel Rogemont. Les quatre autres circonscriptions sont assez aisément conservées par la Droite.

Dès lors que le scrutin uninominal sert de critère, la crête de majorité de Droite courant de la Manche à la Vendée, s'élargit transversalement à l'ouest vers l'Ille-et-Vilaine et le Morbihan, à l'est vers l'Orne. La barre des 50 % dans un second tour y est conservée par la Droite.

La Loire-Atlantique, dans les Pays de la Loire, donne la majorité à la Gauche dans 6 des 10 circonscriptions, 4 de plus qu'en 1993 et surtout 3 de plus qu'en 1988. Jean-Marc Ayrault (PS) est réélu dans la 3ème à Nantes, Jacques Floch (PS) à Rezé dans le sud de l'agglomération nantaise. Patrick Rimbert, adjoint PS à Nantes, gagne Nantes-ouest, Marie-Françoise Celargeau, adjoint également, gagne Nantes-sud, Claude Evin reprend Saint-Nazaire perdue en 1993, et René Leroux, maire PS de la Turballe prend Guérande.

La Sarthe est le second département à accorder une majorité de députés à la Gauche : trois sièges contre deux à Droite, le même niveau que 1988. Les battus de 1993 récupèrent leur siège. De leur côté, les deux députés de Droite, François Fillon à Sablé et Pierre Hellier au Mans-nord sont facilement réélus.

Le Maine-et-Loire est entre cette situation et celle de la Vendée. Toutes ses circonscriptions restent à Droite, sauf une, la 4ème Saumur-sud, Thouarcé où un candidat des Verts soutenu par le PS l'emporte dans une triangulaire. Dans les six autres circonscriptions, la progression du score de la Gauche est très sensible, mais ne remet pas en cause les sièges de Roselyne Bachelot, Hubert Guimault, Christian Martin, Maurice Ligot, Hervé de Charrette et Marc Laffineur.

La Mayenne et la Vendée comptent parmi les départements qui restent monocolores, ils n'ont que des députés de Droite. Neuf départements sont dans cette situation en France, la Mayenne, la Vendée et l'Orne dans l'Ouest, le Cantal, la Savoie et la Haute-Savoie, l'Aube et la Marne en Champagne-Ardenne, ainsi que le Loiret.

En Mayenne, la progression des suffrages de Gauche est forte, le maire PS de Mayenne atteint 48 %, fait très nouveau, mais cela n'empêche pas les élus de Droite de retrouver leurs sièges. En Vendée, le schéma est similaire quant aux sièges mais décalé à Droite quant au rapport de force. Bien qu'ébranlée par des ballottages qui ne se produisaient jamais, la Droite l'emporte largement avec des majorités de 55 - 57 % et même 68 % pour Philippe de Villiers, à l'exception de la circonscription de Fontenay le Comte où le scrutin est plus serré (52/47).

Dans la troisième région de l'Ouest, la Basse-Normandie, le premier tour est amplifié. Le Calvados constitue la pointe avancée d'un mouvement qui a touché 10 des 13 circonscriptions. La participation plus forte a accru une dynamique contre les sortants RPR-UDF. Les candidats de la Gauche obtiennent leurs plus hauts niveaux historiques en voix dans 10 des 13 circonscriptions.

Total de la Gauche, niveaux les plus hauts en Basse-Normandie

Circonscriptions

1988

Nombre de voix 1997 Potentiel 1er tour

Nombre de voix 1997 Réel 2ème tour

Ecart 1997-1988

Calvados

Caen Ouest

Caen Est

Lisieux

Trouville

Bayeux

Vire

21 145

25 220

25 171

16 577

22 916

25 504

19 818

22 769

21 735

17 363

24 787

22 477

23 070

25 674

26 790

21 590

30 639

27 879

+ 1 925

+ 454

+ 1 619

+ 5 013

+ 7 723

+ 2 375

Manche

Saint-Lô

Avranches

Coutances

Valognes

Cherbourg

21 416

12 409

20 255

14 017

24 007

14 861

/

16 911

15 710

24 139

19 907

pas de second tour

19 684

16 636

26 416

- 1 509

/

- 571

+ 2 619

+ 2 409

Orne

Alençon

L'Aigle

Argentan

19 038

16 203

27 404

19 756

15 376

20 294

22 119

18 534

24 281

+ 3 081

+ 2 331

- 3 123

Le candidat de Gauche fait, entre le premier et le second tour de 1997, un bond de 2.000 à 4.000 voix dans les circonscriptions du centre et du sud de la Manche, points faibles traditionnels et dans celle d'Argentan dans l'Orne, sans néanmoins atteindre les niveaux de 1988. Le vote légitimiste présidentiel et la désertion d'une partie de l'électorat de Droite avaient alors joué à plein dans cette partie rurale de Normandie.

Dans toutes les autres circonscriptions, en particulier dans le Calvados, il fait nettement mieux qu'en 1988. La progression est moins visible dans l'Orne et le Sud Manche où elle ne se traduit pas en sièges, elle est particulièrement spectaculaire dans le Calvados où le Parti Socialiste enlève cinq des six sièges. Dans la circonscription de Bayeux que la Gauche n'avait jamais obtenue depuis sa création, la candidate dépasse de près de 8.000 voix le résultat de 1988.

La configuration de la représentation parlementaire de la Basse-Normandie est fortement modifiée : 6 députés de Gauche et 8 députés de Droite. Cette modification est portée par le département du Calvados, en particulier dans des circonscriptions jusqu'alors inatteignables par la Gauche. La Manche et l'Orne, en dépit d'un mouvement d'opinion de même tendance ne sortent pas des figures déjà connues, la Gauche progresse, retrouve une circonscription urbaine, la Droite conserve ses sièges en reculant en suffrages.

Cinq des six circonscriptions du Calvados gagnées par la Gauche. Différence spectaculaire avec le Calvados de 1973 où le gain d'un circonscription dans un département totalement acquis à Droite, villes et campagne confondues, avait fait figure d'événement. Revenons avec plus de détail sur ce département, car il rassemble les ingrédients généraux qui font l'évolution générale des nombreuses circonscriptions de l'Ouest à cette échéance de fin des années 1990 et plus généralement le temps d'une génération.


Haut