Rien ne se passe dans les années 1990 comme dans les deux décennies précédentes. Les années 1970 et 1980 étaient faites de chocs frontaux, bloc d'électorat contre bloc d'électorat, avec des progressions et des reculs qui s'inscrivaient dans le fil de l'élection précédente. Plus attendues, plus décodables en quelque sorte. Les années 1990 sont virevoltantes. Les Législatives inattendues de juin 1997 répondent aux Législatives de 1993.
L'architecture politique des élections de la décennie 1990 présente une jolie symétrie (cf. graphique architecture des élections années 1990). Si le calendrier électoral donne matière à des régularités, les mouvements d'opinion électorale des années 1990 construisent un développement où à égal écart de la Présidentielle de 1995, qui telles le support d'une balance romaine est au mitan des années 1990, les Législatives de 1997 répondent à celles de 1993, les Régionales de 1998 parachèvent les Législatives, comme à leur opposé du début de la décennie, celles de 1992 avaient annoncé la remontée de la Droite et la descente aux enfers de la Gauche.
Si le mot séisme est un peu fort, c'est un nouvel ébranlement politique, une secousse brutale qui met à bas l'édifice des majorités de 1993 et 1995, et décale de nouveau brusquement les systèmes de pouvoir du pays. Le KO devient une posture fréquente des grands partis : après lePS et la Gauche à sa suite, c'est au tour du RPR et de l'UDF. Grands partis n'est plus le mot adapté non plus, car les principaux partis voient leurs bases grignotées par les petits partis. En 1981, les petits partis rassemblaient 6 %, en 1997 ils atteignent 30 % dont la moitié au FN.
L'abstention est de nouveau élevée lors de ce premier tour des législatives de 1997 : 32,04 %. La barre du tiers de l'électorat est passée. Cela constitue après 1988 (33,8 %), qui rappelons-le se déroulait dans l'immédiat prolongement de la Présidentielle, le taux le plus élevé des élections législatives depuis le début des années 1970. Si on y ajoute les 5 % de bulletins blancs et nuls, on atteint une forte proportion de l'électorat qui ne s'est pas prononcée. Cette situation est devenue en une dizaine d'années une constante du rapport des Français à la politique et au politique en général. La politique en tant que projet et partis mobilisent moins ; le politique en tant que res publica, chose politique, concerne moins.
L'électorat n'a pas renvoyé au Président "la majorité ressourcée" qu'il lui avait demandée. Le RPR et l'UDF essuient un sérieux revers dès le premier tour : 31,5 %, l'ensemble de la Droite hors FN obtient 36,15 %, cela constitue le plus bas niveau de la Cinquième République. Le résultat est bien sûr beaucoup plus mauvais que 1993, ou 1995 la dernière élection en date, mais également qu'aux Législatives de 1988 (37,7 %). La comparaison avec 1993 sera bien sûr toujours défavorable, la Droite bénéficiait de l'effondrement du PS. La comparaison avec 1988 fait ressortir la mauvaise posture de 1997. En 1988, dans une situation de progression de la Gauche, confortant le Président réélu, une fraction de l'électorat de Droite, qui n'était pas susceptible d'être gagné à la Gauche, s'était au contraire retirée dans l'abstention. Réaliser moins que 1988 constitue un affaiblissement considérable.
Par retour de balancier, le Parti Socialiste se refait une santé électorale : 26,4 % pour ses candidats (dont des Radicaux et DVG). Cela constitue une nette reprise par rapport à 1993 (+ 7 points), mais 1993 constituait une telle défaite que toute élection ramenant le PS à son standard d'opinion de la période sera nécessairement au-dessus. Par contre, ce résultat national de 1997 n'atteint ni 1988 (37 %), ni 1981 (38 %). Les contextes politiques l'expliquent aisément. Pour finir de caler ce résultat de reprise du PS, il se situe au-dessus des Législatives de 1978 (24,7%) et des résultats de Jospin au 1er tour de 1995 (23,21 %).
La Gauche dans son ensemble se requinque, mais de nouveau comme tout au long de la décennie 1980, c'est le Parti Socialiste qui en tire le meilleur avantage. Toutes composantes confondues, le vote de Gauche atteint les 44 %. Le PC a stoppé sa longue dégringolade, fait un peu mieux qu'en 1993 (9,94 % contre 9,18 %) mais ne passe pas les 10 %.
Les Ecologistes, toujours dans l'émiettement et la cacophonie obtiennent un résultat mitigé. Le score est moindre qu'en 1993 : 6,81 % contre 7,64 %. Seuls les Verts s'en sortent, bénéficiant de leur accord avec le PS. Le score de 3,7 % est moins qu'en 1993, ou bien sûr que le niveau des Régionales de 1992 (6,7 %) mais il est concentré en des circonscriptions gagnables etne peut être comparé terme à terme. Waechter et Lalonde sont eux éliminés au premier tour.
L'ensemble constitué de la Gauche et des Verts retrouve dans les départements français les points d'ancrage du début des années 1990. Effacés en 1993, repris une marche en dessous en 1995, ils se dessinent de nouveau en 1997.
Le Sud-Est n'est plus une des zones privilégiées d'appui, le Nord l'est encore, mais moins (seul le Pas de Calais dépasse 50 %) et est moins massif, moins homogène. La Gauche est hors du profil de partage d'opinion national, en Alsace et en Côte d'Azur : elle n'y obtient pas, toutes composantes confondues, 35 %. Ses zones de forces sont un grand Sud-Ouest, la Bretagne et une partie de l'Ouest et le Nord.
En 1997, apparaît le résultat de l'évolution différentielle de l'Ouest et particulièrement de la Bretagne. Une partie de l'Ouest (villes, circonscriptions, ou départements) est devenue une base forte de la Gauche, non plus seulement en quelques isolats qui existent depuis plusieurs décennies mais en larges zones qui donnent la tonalité d'une partie de la région. Ces zones se situent au-dessus des moyennes françaises. Le processus d'homogénéisation national et le rattrapage accéléré de l'influence de la Gauche dans l'Ouest ont conduit à ce positionnement. L'homogénéisation générale s'accompagne de la création de nouvelles particularités : l'Ouest est plus proche du profil national, conserve à la fois sur une crête intérieure Manche - Vendée, les meilleures positions nationales de la Droite (cf. carte Droite 1997) et des zones de meilleure positions nationales de la Gauche qui peuvent devenir majoritaires comme dans les Côtes-d'Armor. D'autres régions comme l'Alsace et la Côte d'Azur s'écartent du profil national, accordent à la Gauche moins de 60 %, la Droite traditionnelle y perd du terrain et le FN dépasse les 20 %.
L'un des faits marquants de ce premier tour des Législatives tient encore une fois à la position du Front National. Avec 3.785.383, soit 14,94 %, il progresse de plus de 600.000 et de 2 points par rapport aux Législatives de 1993 et se situe, en pourcentage, à un niveau équivalent au résultat de Jean-Marie Le Pen aux Présidentielles de 1995. C'est le meilleur résultat qu'il ait jamais obtenu en tant que parti, c'est la première fois qu'il obtient, à un scrutin national, en voix et en pourcentage, un score proche de celui de son dirigeant. En 1993, il s'était maintenu dans 100 circonscriptions,en 1997 il est présent au second tour dans 133 circonscriptions.
La géographie de son implantation varie peu par rapport aux scrutins immédiatement précédents, sa structure française est semblable, mais le niveau d'ensemble et le niveau minimum dans les régions où il est faible, montent. C'est toujours la moitié est de la France qui lui est plus favorable, et la moitié ouest qui lui est moins, avec une tâche qui se maintient de scrutin en scrutin, celle du Lot-et-Garonne. Les départements où il progresse sont nombreux, parmi eux particulièrement le Bas et le Haut-Rhin, la Moselle, les Ardennes, la Loire, la Drôme. Il régresse dans trois départements seulement : Paris, les Alpes-Maritimes et la Mayenne, trois cas bien différents. La Mayenne est un de ces départements à plus faible score, fortement ancré à Droite, le recul est de l'ordre d'un point. Le recul est du même ordre à Paris où le niveau varie fortement d'une circonscription à l'autre. Les Alpes-Maritimes, ce n'est presque plus la même élection : le Front National y est entre 20 et 25 %, le recul est négligeable, aucun candidat de Gauche n'atteint le second tour. Bien que la structure d'ensemble demeure, sommairement une moitié est face à une moitié ouest du territoire, le niveau des départements les moins favorables atteignent en 1997 le niveau de beaucoup de ceux qui étaient ses meilleurs terrains du début des années 1990.