Le Front National dans l'Ouest

Une équation politique et sociale particulière

Auteur : Pascal Buléon


Cette position du Front National dans l'Ouest conduit à la rapprocher des différents schémas d'interprétation qui ont été produits. Les comportements politiques ne se réduisent pas à quelques causes, ni dans la durée ni dans la conjoncture. Le phénomène du Front National n'y échappe pas. Aussi des systèmes d'interprétation bâtis sur une relation avec seulement quelques caractéristiques de l'opinion ou du milieu, apportent une part d'explication mais trouvent rapidement leurs limites.

De très nombreux travaux ont mis en évidence la relation urbanisation / vote Front National. Nonna Mayer rappelle dans son ouvrage Ces Français qui votent FN "La France qui vote FN, la plus réceptive aux thèmes sécuritaires et xénophobes, est celle des grandes métropoles où se concentre la main-d'oeuvre immigrée, dont l'urbanisation trop rapide a détruit le tissu social et fait progresser la délinquance. Nombre d'études ont mis en lumière les corrélations entre le vote FN et le taux d'urbanisation, le taux d'insécurité, la proportion d'étrangers ou encore celle des rapatriés dans la population". Elle y oppose, à la suite de Pascal Perrineau, "Les terres éloignées des bruits et des fureurs urbaines et qui s'égrènent des monts d'Arrée aux Cévennes où la démonologie du FN construite autour des figures de l'immigré et du délinquant, ne rencontre qu'un écho assourdi". Une France urbaine gangrenée par une idéologie d'extrême-droite laquelle aurait moins de prise sur la France moins urbanisée. Partiellement vrai. Vrai dans la mesure où ces parties du territoire français portent dans beaucoup de cas une croissance du Front National de 1986 à 1997, et même 1998, avant son explosion. Partiellement inexact dès lors que l'on quitte l'échelle départementale pour apprécier l'impact du Front National. Dès la fin des années 1980, Marie-Claire Bernard et Pierre Carrière avaient mis en évidence en Languedoc-Roussillon où le vote FN était élevé que ce n'était pas dans les quartiers ou communes où vivaient des populations immigrées plus nombreuses que le vote FN était le plus fort, mais dans des quartiers et communes à proximité. La peur au travers du fantasme y prospérait et entraînait des votes vers le Front National. Ce phénomène a depuis été observé de nombreuses fois, en particulier par les travaux menés par Béatrice Giblin, dans le Nord, dans la région Rhône-Alpes, en Région Parisienne et même à Toulon. De même, à ses débuts, le Front National a effectué quelques percées dans quelques beaux quartiers urbains, avant d'y régresser quand il progressait partout ailleurs.

Ce n'est pas vraiment la France urbaine dont il s'agit. C'est une France où justement l'urbanité n'existe pas quand les systèmes de cohésion antérieurs n'existent plus. Michel Grésillon fait la démonstration que, au moins autant sinon plus que les banlieues chaudes, "ce sont les confins froids" qui sont réceptifs au vote du Front National. Il montre, et j'adhère à sa démonstration, que "quelque soit l'aire métropolitaine majeure considérée, le même phénomène se répète : le vote pour le Front National croît du centre à la périphérie". L'observation vaut pour Bordeaux, Toulouse, Strasbourg, Lille et Marseille, elle est particulièrement nette pour Lyon et Paris. Cette relation n'a rien d'une simple métrique spatiale. Elle est l'expression d'une "inintégration" : les pertes et les marques d'une urbanisation. Cela rend bien compte d'une partie de la réalité de l'étalement urbain : une situation subie par des fractions de la population souvent démunies à plusieurs égards, aux marges dans tous les sens du terme du développement de la société.

Le système d'explication urbanisation/vote FN ne rend compte que de façon très lointaine de la situation du FN dans l'Ouest. Si l'on prend l'urbain au sens d'agglomération, il en rend même compte assez mal. En 1997, quasiment au sommet de sa progression amorcée en 1986, nous relevions ci-dessus que pas une ville de l'Ouest dans son ensemble n'accordait plus de 10 %. Aux municipales de 1995, la quasi-totalité des principales villes lui accordait moins de 6 %. Les villes ne sont pas des points d'ancrage du Front National dans l'Ouest. Néanmoins, au sein même de ces villes, il faut introduire des nuances : au cours des années 1990, comme il a progressé nationalement et régionalement, il progresse aussi et parfois brutalement dans des quartiers populaires selon le modèle "banlieues urbaines difficiles". Cette progression réelle dont il est difficile de prévoir la trajectoire après l'explosion du Front National, reste néanmoins quasiment toujours en deçà des moyennes nationales du moment. Le Front National ne prospère pas dans les villes de l'Ouest.

Les terres de meilleurs résultats du Front National dans l'Ouest sont rurales et côtières. La partition est la plus pure en Basse-Normandie, elle vaut pour l'ensemble de l'Ouest. Dans les deux cas, ce ne sont pas les mêmes combinaisons qui sont à l'oeuvre. C'est cela qui fait une des particularités du Front National, tant dans l'Ouest que nationalement : il est composite et multiterrain. C'est une caractéristique des électorats populistes d'extrême-droite dès qu'ils prennent de l'ampleur et sortent des scores ultra minoritaires. C'est cela qui déroute l'analyse qui semble trouver une bonne explication qui trouve sa limite rapidement, telle la seule co-présence des immigrés, ou la proportion de femmes qui exercent une activité salariée.

Dès le début de la progression du Front National, des communes, des cantons ruraux lui ont donné les meilleurs scores. En deçà des moyennes nationales, mais s'en rapprochant de plus en plus dans une partie est de la Basse-Normandie et des Pays de la Loire, en continuité et contiguïté avec les marges de la Région Parisienne. Les marges, à nouveau l'explication de Michel Grésillon vaut : la distance au centre pour reprendre Jacques Lévy. Distance de Paris, distance de la grande ville de la région dans le Pays d'Ouche et le Perche dans l'Orne ou le nord de la Sarthe, vote des confins de l'étalement urbain et d'une ruralité délaissée. Jérôme Fourquet qui a analysé le vote Front National dans la Sarthe y voit "les marges du département, au sens géographique du terme comme au sens figuré, c'est-à-dire les zones les moins attractives et dynamiques et les plus défavorisées (...). Il peut s'agir de rurbains à faibles revenus (ouvriers, employés) mais aussi de ruraux touchés par ce qu'on appelle la déprise (exode rural, vieillissement de la population, chute de l'activité et désagrégation du tissu social)".

On peut étendre cette configuration à des cantons du Pays d'Auge et du Pays d'Ouche à l'est du Calvados et de l'Orne, à la circonscription de Vire qui a vu, alors qu'elle était peu touchée au début des années 1990, croître plus rapidement le vote FN dans la seconde partie des années 1990.

La seconde configuration spatiale où le FN enregistre des meilleurs résultats est littorale. Une véritable guirlande côtière d'Honfleur dans le Calvados à l'extrêmité de la Vendée. Les résultats par cantons des élections régionales de 1998, ci-après, font particulièrement ressortir ces différences. Des petits bourgs tels que Honfleur, Grandcamp, St-Vaast-la-Hougue, Carteret, Le Guilvinec, Nevez, etc., accordent de bons résultats au Front National, très nettement et très régulièrement supérieurs aux scores urbains.

Cette configuration est éloignée de ce que la bande côtière était au début du siècle. Evolution inverse et à rebours des ensembles régionaux. Siegfried y avait analysé des électorats souvent favorables aux Républicains, voire aux socialistes de l'époque en quelques ports. Il y voyait la marque de populations très liées à l'État, retraités de la Marine, douaniers et population de marins-pêcheurs plus indépendants des cadres idéologiques de l'intérieur. Les combinaisons sociales et spatiales ont radicalement changé depuis lors. Les combinaisons politiques aussi. Les villages côtiers et les petits ports ont une population vieillissante, ce sont des stations balnéaires vivant beaucoup du tourisme, les retraités y sont de plus en plus nombreux, de plus en plus âgés plus l'espérance de vie augmente, et les origines sociales beaucoup plus diversifiées. Les retraités de la marine et les pêcheurs ne sont plus aussi nombreux, les commerçant, professions libérales diverses les supplantent. J.J. Monnier dit pour Douarnenez qui comptait encore trois mille cinq cents pêcheurs au lendemain de la guerre, "qu'elle n'enregistre plus que trois cent cinquante en 1992 dont une partie de retraités (...). Le conseil municipal de Douarnenez ne compte plus qu'un marin-pêcheur, ce qui en fait une catégorie sous représentée".

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La combinaison politique du début du siècle avait déjà fortement changé après-guerre. En Basse-Normandie plus encore qu'en Bretagne, au vote Républicain de début de siècle s'était substitué le vote pour les formations de Droite, et dès le début de la Ve République une forte majorité Gaulliste. La combinaison sociale et spatiale de population vieillissante, d'activités et de vie quotidienne fortement rythmée par le tourisme saisonnier, d'un type de commerçants, de professions libérales elles aussi tournées vers cette économie, et de pêcheurs et d'agriculteurs souvent enclins à des réactions poujadistes, en butte à des modifications de leurs milieux professionnels et minorisés dans leurs communes construit un cocktail propice et un milieu réceptif aux sirènes du Front National.

Nonna Mayer, dans une analyse approfondie de l'électorat du Front National fait bien ressortir le poids déterminant des facteurs politiques dans le vote FN. C'est d'abord et avant tout le contexte politique français, la capacité des grands partis à changer la réalité et à répondre aux problèmes du moment qui fait le Front National, "c'est du degré d'insatisfactions à l'égard des partis existants, et de l'image qu'offre par contraste le mouvement frontiste que dépend en dernier ressort le vote pour le FN". Ensuite seulement peut-on trouver des ressorts qui poussent une partie des électeurs vers le Front National, et ensuite encore voir dans les différenciations spatiales, les combinaisons sociales et spatiales qui favorisent ou qui freinent le vote FN.

Dans un contexte où à toutes les élections quelles qu'elles soient, la préoccupation première toutau long des deux décennies 1980 et 1990 a été, année après année, avec une inquiétude sourde et une angoisse grandissante plombant tout le climat de la société, le chômage, le Front National en a fait un fonds de commerce en l'associant aux peurs et aux fantasmes qui souillent le fond des opinions des sociétés et remontent par bulles quand les difficultés s'accumulent. Dans une enquête du premier tour des Présidentielles de 1995 le chômage dépasse de 20 points avec 57 % toutes les autres préoccupations de l'ensemble de l'électorat. Il atteint 1 point de plus dans l'électorat Le Pen et 2 points de plus dans l'électorat Voynet. C'est dans la préoccupation seconde que la discrimination apparaît. L'immigration qui n'apparaît qu'en 8ème rang mais apparaît quand même pour l'ensemble de l'électorat, talonne avec 53% le chômage dans l'électorat Le Pen, quand c'est l'environnement qui tient cette place, 49 %, dans l'électorat Voynet. Ce créneau de l'immigration cause de tous les maux, et fonds de commerce de la croissance du Front National a été abondamment étudié depuis la fin des années 1980.

L'équation FN que N. Mayer met en place de façon convaincante associe un désenchantement avec rancoeur des autres partis, un syndrome autoritaire combinant désir de punir et rejet de l'autre qui caractérise l'extrême de droite selon Théodore Adorno, un rejet des élites, sur fond de détérioration de la situation économique personnelle. De nombreuses campagnes d'entretiens font ressortir ces traits qui ne sont jamais réductibles à une ou deux variables, mais mettent en évidence des personnalités, des traits psychologiques, des trajectoires individuelles enserrées ou ballottées par des trajectoires collectives, des accidents individuels et des traumatismes collectifs, qui font émerger en interaction avec la situation politique nationale, le vote FN.

A cette équation, on peut ajouter la crainte devant les changements de repère dans le monde, la crispation identitaire comme refuge face à la mondialisation et à la construction européenne. J.M. Le Pen dans un discours de 1984, en rassemble quelques traits saillants contre ce qu'il nomme le "cosmopolitisme" et "l'européisme" : "cette Europe dont on ne connaît ni l'étendue, ni les frontières, (qui) n'est elle-même, dans l'esprit des Eurofédérastes, qu'une étape sur la route du gouvernement mondial dont la Trilatérale ne cache pas qu'elle soit en place avant l'an 2000. Il s'agit là d'une véritable conspiration contre les peuples et les nations d'Europe et d'abord contre le peuple français et la France". Le ressentiment face à des histoires mal acceptées comme le dit justement M. Grésillon. Histoires nationales vécues comme des défaites, des déclins, des pertes dont "le deuil n'est pas fait" selon sa formule. Ce ressentiment nourrit en Europe d'autres formations d'extrême-droite que le Front National. Perte des empires, perte d'une position, de lieux de vie parfois, dans le cas des rapatriés d'Algérie. Frustration et ressentiment toujours. Cette crispation et des éléments de l'équation FN se retrouvent dans d'autres pays européens. Ils ont atteint ce degré de coagulation et de succès en France, précipité par le contexte politique national.

Cette équation politique est multiterrain et très composite, elle peut même être contradictoire. Le FN coagule des mécontentements et des ressentiments, pas des orientations. N. Mayer y distingue même deux électorats presque distincts, les "ninistes" plus prolétaires et contestataires, et les "droitistes" plus "clairement et solidement ancrés à droite".

Alors dans l'Ouest, la faiblesse structurelle du Front National signifierait-elle que cette équation politique ne fonctionnerait pas ? Nullement. Le fond politique est semblable, les profils d'électeurs également, les enquêtes localisées qui ont été menées le confirment. Le caractère composite et multiterrain sociaux se retrouve dans la plupart des cantons urbains comme ruraux. Il se retrouve dans la progression que le FN a connu dans l'Ouest, car même s'il est constamment resté en deçà des moyennes nationales, il a progressé presque à chaque scrutin, au mieux il s'est stabilisé ; très rarement mais les cas existent il a régressé dans telle ou telle ville. 

Les ressorts du vote sont substantiellement les mêmes, parce qu'ils sont d'abord d'ordre politique et que la matrice historique et spatiale prépondérante en la matière est avant tout nationale. Ces ressorts politiques selon les formations sociales et spatiales régionales ou les combinaisons d'ordre local ne produisent pas tout à fait les mêmes profils politiques. Le Front National n'est qu'un des aspects du vote, ceci vaut aussi pour tous les comportements électoraux. Sa différenciation au sein du territoire français est seulement particulièrement forte, ce qui rend le phénomène assez spectaculaire.

Dans l'Ouest également, la distance à la centralité, à l'urbanité génère plus de Front National, la généralisation proposée par Jacques Lévy, puis systématisée par Michel Grésillon est opératoire. Nous avions depuis le début des années 1990, souligné que dans l'Ouest ce vote était plus rural qu'urbain. Au niveau français sa vive croissance dans un premier temps en milieu urbain avait masqué cette ruralité transformée, travaillée et déstabilisée par les mutations. Cette ruralité est plus perméable dans l'Ouest au vote Front National que le milieu urbain. Les zones littorales constituent la seconde combinaison sociale et spatiale, différentes des confins périurbains ou ruraux, et de quelques quartiers populaires d'urbanisation très dense, où se développe mieux le Front National.

Dans le cas des zones rurales, un processus d'ordre politique vient se combiner au terrain social, psychologique collectif plus propice. Ces zones rurales étaient totalement acquises à la Droite sous différentes étiquettes. La relation du notable à ses électeurs était particulièrement forte, Armand Frémont, Michel Phliponneau et Jean Renard l'avaient analysée de manière pénétrante. Le recul général de la Droite, les changements de société, la confrontation à de nouvelles difficultés, de nouvelles craintes ou mêmes peurs et angoisses ont desserré, délité et même parfois fait disparaître la relation du notable conservateur classique avec ses électeurs. Dans ce desserrement, parmi les voies empruntées, celle du populisme, du discours tribunitien attrape-tout, de l'équation politique décrite plus haut a glané des suffrages. Ceux-ci prenant corps, ont fait tomber des barrières, donner de la consistance locale à une expression.

Là où les notables de laDroite classique sont demeurés encore puissants, même s'ils ne sont plus hégémoniques, le Front National a progressé moins et moins vite. Là où s'est desserré cet encadrement rassurant pour une part, le Front National s'est développé. C'est un des éléments explicatifs, avec l'effondrement de la Droite démocrate chrétienne, de la croissance du Front National en Alsace au début des années 1990. Le processus est même renforcé quand une personnalité politique, notabilité locale porte les couleurs du Front National. Jérôme Fourquet qui s'est y intéressé dans l'Ouest montre que dans plusieurs cantons, la présence d'un notable frontiste la plupart du temps un employeur local de quelque importance dope les résultats électoraux personnels. Fernand Le Rachinel à Canisy près de Saint-Lô dans la Manche, conseillerrégional, conseiller général, dépasse aux Législatives de 1997 de 7 à 15 points dans les cantons les plus proches, les résultats de J.M. Le Pen à la Présidentielle de 1995. De façon similaire, mais moins ample on retrouve le même phénomène dans la circonscription de Cholet dans le Maine-et-Loire avec Roger Baudry et dans la troisième circonscription de Vendée avec Paul Petitdidier qui dépasse de plus de 5 points la moyenne départementale. Cette double relation notabilité classique affaiblie développement du Front National en milieu rural et apparition dans les années 1990 de notables frontistes qui assoient un vote personnel est corroborée par le cas F. Le Rachinel. F. Le Rachinel, dans ses premiers mandats de conseiller général de la Manche était sous l'étiquette majorité départementale. Il la conserva même un temps après avoir été élu député européen. Sa présentation sous étiquette FN aux élections cantonales suivantes ne lui fit pas perdre son mandat. Il avait emporté sa notabilité dans ses bagages. L'essentiel de l'électorat qu'il emmène a été soustrait à la Droite.

La combinaison politique des zones littorales s'effectue sur le même fonds. Il s'y ajoute la confrontation régulière, saisonnière par le tourisme, de mondes sociaux extrêmement distants. Dans une situation de difficultés matérielles accrues, cette cohabitation ponctuelle, à se toucher, mais à s'ignorer, aiguise les ressentiments et l'expression protestataire. Le mélange social que nous avons décrit précédemment fait de population vieillissante, parfois aisée parfois moins selon les stations balnéaires, les actifs qui s'occupent des plus âgés, les commerçants, artisans, professions libérales tournées essentiellement autour de l'économie touristique et de moins en moins vers une activité maritime et agricole en proie à des mutations et difficultés est un autre terrain propice à l'équation politique nationale du FN décrite précédemment.

En dehors de ces lieux plus propices, le Front National n'a pas prospéré parce que d'une part les traits saillants de son équation politique n'étaient pas puissants dans l'Ouest et que d'autre part le terrain social et spatial n'ouvraient pas les possibilités qu'il avait ailleurs.

C'est une banalité que de constater la faible présence d'immigrés dans l'Ouest, cela n'empêche pas le fantasme sur l'immigration et l'envahissement mais cela a sans nul doute contribué à ne pas exacerber au quotidien une traduction xénophobe électorale. Le facteur discriminant le plus fort, l'attitude face à l'immigration, a peu de réalité concrète. La réalité du chômage, les difficultés de restructuration d'activités plus ou moins anciennes ont été également fortes dans les années 1980, mais elles ont aussi coexisté avec des créations d'emplois dans d'autres secteurs très tôt dans les années 1990. L'influence de la Droite a régressé tout au long de cette période mais pas au point de laisser en déshérence des lieux et des populations facilement captables. L'électorat populaire mis à mal par la crise, qui s'est détaché ailleurs du Parti Communiste comme dans le Nord ou en Provence et a apporté des voix au Front National, n'a dans l'Ouest ni l'importance numérique globale qu'il a dans d'autres régions, et n'a pas connu en dehors de quelques isolats cette structuration politique par le PCF dans les années 1950 et 1960. A ces termes de l'équation politique, s'ajoute le fait que le jeu du développement urbain, et des modifications sociales et économiques, du contexte de cadre de vie, s'il génère des difficultés et parfois des grandes difficultés, n'a pas produit globalement de l'inintégration, de la relégation de façon massive. Interviennent ici les liens familiaux, le tissu associatif et l'empreinte encore active des différents milieux chrétiens qui, s'ils ne dictent plus des conduites électorales, ont justement dans l'évolution qu'ils ont connue dans l'Ouest contribué à dresser des interdits face aux thèses du FN dans les milieux où il aurait pu progresser. Intervient également l'encadrement médiatique où la présence d'un journal tel Ouest-France, premier quotidien de France, d'inspiration démocrate chrétienne non seulement ne nourrit pas mais combat les peurs et les réflexes identitaires qui feraient le lit du Front National. Dans les liens familiaux, il y a le fonctionnement des structures familiales, la place de la femme au travail, ici Hervé Le Bras qui a souvent défendu cette thèse apporte un lot d'explication, qui isolé ne peut rendre compte à lui seul, mais réintégré dans un jeu complexe, prend toute sa place.

L'ensemble de ces relations produit moins d'inintégration et la distance politique entre les électeurs et les élus et leurs partis n'est pas devenue un gouffre au point que le Front National y trouve son miel, ce qui explique ce décalage persistant, trait particulier de l'Ouest. Néanmoins le même processus politique est à l'oeuvre, ce qui explique sa progression, et il peut trouver des combinaisons sociales et spatiales propices, c'est le cas dans les confins périurbains et ruraux et sur une bande côtière presque ininterrompue.


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