Un mois après des Présidentielles fracassantes, on attendait un scrutin des Législatives qui en porte la marque, soit en prolongement, soit en réaction.
L'électorat français depuis le début des années 1990 envoie des messages et des résultats brutalement modifiés d'un scrutin à l'autre. Les Législatives 2002 sont encore de cette veine.
Après une forte abstention de premier tour présidentielle, puis une mobilisation politique et civique d'entre-deux tours, on pouvait envisager un redressement de la participation ... rien de cela. Au contraire, une forte abstention s'est manifestée : à plus de 35 %, elle établit même un record du genre pour la Cinquième République, supérieur à 1997 et 1988.
Avec un nombre lui aussi record de candidats effet du mode de financement et la dispersion constatée au premier tour de la Présidentielle, on pouvait attendre une dispersion identique. Non, les électeurs qui se sont déplacés voter ont massivement intégré une leçon sur les risques de la dispersion, et dans les deux blocs d'opinion, Droite-Gauche, ont voté utile. Ainsi le grand nombre de petits courants qui avaient grossi sont redevenus petits et se sont fait le plus souvent laminés.
Le Front National et le MNR qui lui est accolé n'ont pas échappé à cette dynamique, eux qui étaient souvent à côté ou s'en nourrissaient. Le Front National ne retrouve pas les scores de Le Pen, il recule très nettement (11,5 %), voire parfois très violemment comme en Alsace où ses scores sont divisés par deux.
Il en résulte au lendemain du premier tour des Législatives encore un nouveau tableau politique : la Droite parlementaire sort très nettement à son avantage (43,5 %) entre l'UMP, l'UDF et les DVD soit 7 points de mieux qu'en 1997 et quatre points de mieux qu'en 1993.
Pour autant à Gauche, le Parti Socialiste n'est pas laminé comme en 1993 où il était tombé à moins de 20 %. C'est lui qui résiste même le mieux de l'ensemble de la Gauche.
Dans les deux blocs d'opinion, le vote utile a joué à fond. Ce vote utile qui avait petit à petit faibli depuis le milieu des années 1990 refait une apparition remarquée : il fait ressortir deux pôles forts et lamine autour.
A Gauche, plus encore que les Verts qui restent sensiblement à leur niveau de 1997, c'est le PC qui en fait les frais, et l'extrême-gauche qui ne retrouve pas les scores de la Présidentielle.
Si les projections en sièges sont toujours un peu hasardeuses, compte tenu des jeux de l'entre-deux tours, il n'en reste pas moins que le sens du premier tour est de donner une large majorité au président Chirac, de diviser par deux le nombre d'élus PS sans les ramener à la portion congrue de 1993 et d'en faire le seul parti important d'une future opposition.
Le balancier français de l'alternance est reparti de l'autre côté. 7 % de déplacement de voix, laminage des petits partis et mode de scrutin donnent des changements brusques et amples.
L'Ouest, Basse-Normandie, Bretagne, Pays de la Loire, était simultanément une terre des meilleures implantations de Droite et de forte progression de la Gauche au cours des 20 dernières années. 1997 avait donné au PS un grand nombre de députés : 15 sur 26 en Bretagne, une majorité en Loire-Atlantique, dans la Sarthe et dans le Calvados.
L'une des surprises de ce premier tour est le nombre important de réélections dès le premier tour : 19 dans tout l'Ouest dont un seul Jean-Marc Ayrault à Gauche. Au-delà des reports, la plupart des circonscriptions très disputées se joueront sur l'évolution de l'abstention.
Comme dans l'ensemble de l'Ouest, comparé à l'ensemble français, le nombre d'élus de premier tour est important. L'un d'entre eux pouvait être prévisible : René André à Avranches, il l'avait déjà été en 1997.
Par contre Jean-Claude Lemoine à Saint-Lô, Nicole Ameline à Honfleur et Sylvia Bassot à Argentan-Flers qui pouvaient envisager un ballotage très favorable n'étaient pas attendus dès le premier tour. Ce fut d'ailleurs d'un peu plus de 10 voix parfois.
Plus encore à Mortagne-l'Aigle, Jean-Claude Lenoir pouvait se retrouver dans une triangulaire avec le FN. Il n'en a rien été, il l'emporte dès le premier tour.
Le recul très sensible, de 3 à 5 points du Front National, et le vote utile ont généré ce résultat.
Le Parti Socialiste n'enregistre pas pour autant de mauvais résultats en voix et pourcentage dans l'ensemble. S'il demeure faible, en deçà de ses positions du début des années 1990 dans l'Orne, il se maintient en Manche Sud.
Dans le Calvados, où il avait enregistré en 1997 des scores qu'il n'avait jamais connu, il tend à baisser un peu, mais surtout la Droite traditionnelle retrouve des forces électorales qu'elle avait perdu dans les circonscriptions de Bayeux, Vire, Caen-ouest, Lisieux et même Caen-est, la plus à gauche sur le papier.
Il en résulte pour le deuxième tour des situations contrastées.
Des circonscriptions sont en ballottage très favorable à Droite : Alençon dans l'Orne, Valognes dans la Manche, Lisieux et Bayeux dans le Calvados. On mesure déjà deux sièges repris au PS.
Celle de Caen-est aux mille péripéties de candidatures PS donne la situation suivante : Rodolphe Thomas, UDF, maire récent d'Hérouville est en tête du premier tour en gagnant 3.733 voix et 9 points sur le candidat de Droite de 1997. Louis Mexandeau perd 1.477 voix et 2 points sur 1997 ce qui n'est pas considérable. Le potentiel de report de Mexandeau s'élève à 6.745 voix et 17,36 points, celui de Thomas à 1.331 et 3,43 points ; même si les 2.873 et 7,39 points d'extrême-droite se reportaient intégralement, il faudrait dans cette circonscription où l'on s'est le plus abstenu au premier tour (38,74 %) une étonnante mobilisation à Droite pour mettre en danger Louis Mexandeau. Bien que sa personne soit très controversée, il y a des candidats qui ont la chance d'être dans des circonscriptions très ancrées dans leur appartenance politique.
L'autre circonscription de Basse-Normandie traditionnellement à Gauche, mais déjà passée à Droite en 1993, est Cherbourg, le ballotage est moins simple.
Bernard Cazeneuve perd 500 voix sur 1997, Jean Lemière en gagne 3.500 et 9 point sur 1997 et 1993. Par contre, les 7 points du PC ne sont plus là et les Verts outre 1 % de moins ont des rapports difficiles avec B. Cazeneuve. Les réserves sont très justes de part et d'autre, c'est l'abstention très élevée (38,37 % - 3,8 points de plus que 1997) qui est encore la clé.
C'est encore dans le Calvados que l'on retrouve les deux situations les plus serrées : Caen-ouest et Vire.
Sur Caen-ouest, Brigitte Lebrethon gagne 5.000 voix et 9 points sur Francis Saint-Ellier 1997 mais réalise le même résultat en voix qu'en 1993. Philippe Duron réalise 2.684 voix et 4 points de plus qu'en 1997 et le double de 1993. Le potentiel de report sur P. Duron est d'environ 6 à 7 points, celui sur B. Lebrethon de 2, mais que feront les 3.900 électeurs de l'extrême-droite ? C'est encore et surtout dans l'abstention (37,36 %) que se fera la décision.
Quant à Vire les deux principaux candidats ont chacun gagné 5 points sur 1997 dans un contexte d'abstention augmentée (33,77 %). Alain Tourret peut attendre 6,5 points de potentiel de report, Jean-Yves Cousin 5 points. Sur leurs propres scores, c'est Jean-Yves Cousin qui a l'avantage. Cette circonscription a déjà produit des entre-deux tours très surprenants