L'abstention est encore une fois le principal vainqueur de ce scrutin. 42 %, soit quatre électeurs sur 10 qui ne se sont pas déplacés. Dix points de plus qu'en 1992, vingt points de plus qu'en 1986, un niveau très élevé. Bien que relevé, ce fait est rapidement relégué derrière le résultat des partis et les évolutions. Il constitue pourtant un des faits majeurs du rapport à la politique des électeurs et du comportement qui s'est instauré tout au long de la dernière décennie. Fondés sur la perplexité et le doute quant aux capacités des partis qui se présentent d'apporter des réponses à leur préoccupation, l'abstention et le déplacement brusque de votes ont marqué le paysage politique. Aucun électorat n'est épargné, ils sont tous touchés en profondeur. Des noyaux durs d'électorat demeurent mais sont ébranlés. Une frange importante d'électorat se réfugie parfois dans l'abstention, accorde les 5 à 6 % décisifs qui font les fortes majorités, se retire, une autre part se répartit sur des votes critiques à l'égard des principaux partis ou protestataires, puis revient dans l'abstention, sans que cette frange de l'électorat soit toujours constituée des mêmes individus. Phénomène complexe qui a parfois été attribué à de la volatilité, nouvelle caractéristique de l'électorat. Ramenée à ces fondements, cette volatilité est plus l'expression jumelle de l'abstention, celle du doute.
Dans l'ensemble français, les régions Rhône-Alpes, Alsace-Lorraine, Ile de France et Champagne-Ardenne sont celles où l'abstention atteint les niveaux les plus élevés, dépassant en plusieurs départements les 45 %. A la différence des positions anciennes, l'Ouest n'apparaît pas comme une zone de faible abstention. C'est le Sud-Ouest qui est en cette position avec plus de 10 départements à moins de 37 %, 5 points en deçà de la moyenne nationale.
Dans l'Ouest, l'abstention est de façon générale aussi forte qu'au niveau national. Seuls, de façon homogène, les départements de la Bretagne, hors l'Ille-et-Vilaine font sur la carte une plage de meilleure participation, sans pour autant rejoindre le Sud-Ouest. L'abstention dépasse la moyenne nationale en Ille-et-Vilaine (44,6 %), dans le Calvados (42,1), plus encore dans la Manche (43 %) qui fut longtemps un département champion de la participation, en Loire-Atlantique (44,2), dans le Maine-et-Loire (43), dans la Sarthe (42,3), et même en Mayenne (42,29) au profil similaire à la Manche. L'abstention est encore plus forte dans les villes, en France comme dans l'Ouest, y atteignant souvent les 50 %.
Nationalement le résultat n'est pas spectaculaire. Il corrige le déséquilibre de 1992 et s'inscrit dans le fil des Législatives sans avoir la même ampleur. Au total des suffrages, la Droite classique et la Gauche obtiennent des résultats approchants, avec un léger avantage à la Gauche : 8 millions de voix et 36,58 % pour la Gauche auxquels on peut ajouter les 945 000 voix et 4,32 % d'extrême Gauche, 35,98 % pour la Droite et 7 875 000 voix, et 15,16 % pour l'extrême Droite.
Dans douze régions, la Gauche plurielle dispose de plus d'élus que la Droite classique. Dans deux régions, Rhône-Alpes et Poitou-Charentes, elles sont à égalité, dans sept régions la Droite conserve une majorité qu'elle avait déjà. Le rééquilibrage est évident, on est très loin de la majorité dans toutes les régions sauf deux dont avait bénéficié la Droite lors de la Berezina régionale de la Gauche en 1992.
L'écart d'une situation à l'autre n'est pas considérable en pourcentage, mais l'ordre de bataille des listes dans un scrutin proportionnel change considérablement la physionomie finale. Qu'on en juge : avec 35,2 % des exprimés, mais en ordre dispersé, le PS, le PC, les Verts, les Radicaux et les Divers Gauche obtenaient 588 conseillers régionaux en 1992. En 1998, dans une situation où les regroupements prévalent sans être partout présents, les mêmes forces politiques recueillent 35,58 %, soit guère plus qu'un point de suffrage supplémentaire, mais 680 conseillers, ce qui change la face des choses.
Les départements du Sud-Ouest, du Sud, le Pas-de-Calais et le Finistère sont les départements où la Gauche plurielle dépasse les 40 %. Ce sont essentiellement les mêmes points de force qu'aux Législatives précédentes de 1997, la bande littorale des Bouches-du-Rhône à l'Aude étant plus présente en 1998. Le niveau des suffrages est lui, un cran au-dessous de 1997 : 5,77 % précisément.
Les Régionales de 1992 avaient frappé par la poussée des Verts (6,8 %) et 102 conseillers et du Front National (13,9 %). La désaffection relative à l'égard des grands partis est encore visible en 1998 et les scores significatifs recueillis par diverses listes plus ou moins importantes restent une des caractéristiques des Régionales, caractéristique dont il faut rappeler que le mode de scrutin y encourage. Les Verts ne sont ni dans le même contexte politique, ni dans la même position. En 1992, ils constituent, outre l'orientation écologiste, le vote critique à l'égard de la Gauche institutionnelle. En 1998, ils se sont engagés dans un accord de gouvernement, participent à une majorité plurielle, sont souvent sur des listes communes, rarement seuls.
Le Front National est dans une position similaire à celle qui était la sienne en 1992, réceptacle de toutes les déceptions et rancœurs, vote idéologique, comme protestataire attrape-tout. Position similaire et même améliorée. Entre-temps, le contre-pied de la dissolution et la défaite de 1997 ont un peu plus ébranlé l'assise des partis de la Droite classique non seulement dans leur électorat, mais également parmi leurs élus comme l'élection des présidents de Région le montrera justement dans la semaine qui suivra les élections régionales.
Aussi, le Front National obtient-il 15,2 %, ce qui constitue son meilleur score jusqu'alors, devant les 15 % de J.M. Le Pen aux Présidentielles, - résultat qui avait pu être qualifié de personnel -, devant les 14,94 % des Législatives de 1997. Il se situe 1,3 points au-dessus de son résultat de 1992 et obtient 275 élus dans les conseils régionaux soit 38 de plus qu'en 1992.
C'est en Provence-Alpes-Côte d'Azur que le Front National réalise ses meilleurs résultats : plus qu'en 1992, plus qu'en 1997 dans les six départements de la région. Le Var, les Alpes-Maritimes, le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône sont ses meilleurs résultats nationaux, il y obtient plus du quart des suffrages et devance la Droite RPR - UDF dans quatre d'entre eux.
Ses zones fortes nationales, par delà une croissance partout tout au long de la décennie, sont la Provence, une France urbaine du Nord et de l'Est, une lointaine deuxième couronne de l'Ile-de-France et Rhône-Alpes. Plus grossièrement toujours la moitié Est de la France déjà apparue début des années 90 et fixée aux Municipales de 1995. Ses zones les plus faibles se situent à l'ouest d'une ligne brisée, Le Havre, Valence, Perpignan. Il est même en léger recul dans les trois régions de l'Ouest, Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire. Ce trait différencie fortement ces trois régions de la Haute-Normandie que des positions historiques ou géographiques auraient pu amener à rapprocher.
A l'Est et au Sud, les zones de force du Front National coexistent avec une forte abstention. Dans différents départements, le vote CPNT commence à sortir des scores marginaux et capte un électorat qui pourrait se retrouver dans le vote Front National.