Les années 1990 marquent pour l'ensemble des régions françaises un double mouvement : l'homogénéisation nationale des principaux pôles d'opinion politique se poursuit. Selon une partition Droite/Gauche de l'opinion, les écarts sont moins marqués d'une région à une autre. Là où la Droite était plus faible, elle enregistre des scores plus élevés, là où la Gauche était faible, elle continue de progresser. Cette homogénéisation s'effectue au niveau des départements et des régions, mais également au niveau local le plus fin : d'une commune à l'autre, à l'intérieur d'une commune, entre quartiers. Cette tendance lourde de la configuration des votes en France se prolonge. Cette homogénéisation n'est pas pour autant un nivellement, gommant et râpant des aspérités antérieures pour aboutir à une opinion lisse. Le relief figuré du vote français n'est pas une morne plaine. Le second mouvement des années 1990 est la confirmation de traits particuliers apparus dans des parties du territoire français, plus petites ou plus grandes que les régions, au cours de la décennie précédente. Ainsi, le vote Front National ou le vote écologiste se sont dégagés des zones de forces au cours de scrutins différents sur plus de dix années. L'Alsace, le Nord, la région PACA, le Sud-Ouest, l'Ouest, font saillir de nouveaux traits, qui composent avec des configurations antérieures, se stabilisent relativement, et sur la trame du mouvement plus long d'homogénéisation du rapport de force Droite/Gauche, produisent de nouvelles configurations régionales de vote.
L'Ouest de la France s'inscrit dans le cours de ce mouvement national homogénéisation / nouveaux traits particuliers, il ne le suit pas seulement, il n'est pas à la traîne ou aux marges, il en est une composante essentielle, il le construit pleinement. L'homogénéisation est bien à la fin de la décennie un trait constant, même si le début pouvait laisser croire que de nouveaux écarts profonds s'étaient creusés. Le rapprochement des influences de pôles de Droite et de Gauche est confirmé. En même temps des traits particuliers dont la plupart avaient émergé au cours des années 1980 se trouvent également confirmés. Quatre traits particuliers reviennent avec constance : le Front National est de façon systématique nettement en deçà de sa moyenne nationale, les écologistes demeurent le plus souvent au-dessus de leur moyenne nationale, le Parti Socialiste stabilise une influence acquise dans les quinze années précédentes qui le met souvent en rôle de pivot qualitativement différent dans ces régions de ce qu'il était auparavant et lui fait contester le leadership des partis de Droite tant pour la représentation nationale que locale, enfin la participation demeure globalement et systématiquement, dans une décennie où elle varie et se modifie beaucoup, meilleure qu'au niveau national. Les trois régions de l'Ouest, Bretagne, Basse-Normandie et Pays de la Loire, chacune à des degrés divers, affirment ces traits dont l'agencement commun les différencie d'autres régions françaises.
Si la décennie 90 confirme cette inscription de l'Ouest de la France dans ce double mouvement homogénéisation / affirmation de nouveaux traits distinctifs, elle ne le fait pas de manière paisible et progressive. Comme l'homogénéisation nationale ne signifie pas paysage politique aplani, la confirmation de ces tendances ne signifie pas évolution sans à-coups. Tout à l'inverse, la décennie 90 se caractérise par de violents à-coups, des retournements brusques, fortement amplifiés par le mode de scrutin majoritaire. Une forte amplitude de variations et une évolution chaotique des majorités sont même la marque de la décennie 90. La décennie s'ouvre par un effondrement du Parti Socialiste au pouvoir en 1992, puis en 1993. Les majorités dans les départements, les régions, puis à l'Assemblée sont quasi monocolores, la victoire de Jacques Chirac aux Présidentielles complète le grand chelem. Au midi des années 1990, la carte politique de la France est au bleu profond. L'ébranlement social de la fin 1995 et le rebondissement de la dissolution de l'Assemblée en 1997 repousseront brusquement la barre à gauche, mouvement de nouveau amplifié par le mode de scrutin majoritaire. Les régionales de 98 confirment le retour de barre favorable à gauche et les sénatoriales de la fin de l'année 1998 comme les Européennes de 1999, dernières élections des années 1990, confirment, même si le mode de scrutin est déformant, l'extrême confusion de la Droite traditionnelle.
Chaotique est sans doute l'adjectif qui convient pour cette décennie 90. Brusques à-coups, désaffection d'une partie des électorats, doute et perplexité peut-être d'une très grande majorité de l'opinion, qui prennent des formes allant de l'abstention à la "volatilité du vote". La volatilité a sans nul doute été exagérée par les analyses du moment, des noyaux durs importants de plusieurs centaines de milliers d'électeurs conservant les mêmes orientations. Néanmoins, des pans importants de l'électorat, de l'ordre de quelques millions d'électeurs, ont modifié leur attitude d'un scrutin à l'autre. Parfois, ils se sont abstenus, pour des raisons immédiates différentes, les uns en faisant une sanction à l'encontre du gouvernement en place ou du vaincu du scrutin précédent, les autres perplexes sur l'orientation proposée, mais tous plongés dans le doute face à une réalité économique et sociale et à des politiques qui ne changeaient peu ses aspects les plus difficiles pour la population, le chômage en particulier. Parfois, des fractions de l'électorat ont voté Front National au premier tour et pour le candidat de Gauche au second. Parfois, le vote écologiste a progressé, absorbant plusieurs dizaines de milliers de votes PS ou PC. Parfois encore, le vote écologiste s'est asséché, la dimension critique prenant moins d'importance et la dimension "vote utile", c'est-à-dire perspective de second tour dans le scrutin majoritaire à deux tours, reprenant le pas. Ces mouvements de sens différents, quelquefois emmêlés dans un même scrutin, quelquefois successifs à un an ou deux d'intervalle, donnent aisément l'impression d'une forte instabilité et d'une grande volatilité. C'est en partie vrai et en partie faux. Ces mouvements marquent bien de l'instabilité, du doute, des changements brusques d'une partie de l'électorat suffisamment importante pour que la physionomie d'un scrutin soit presque totalement modifiée. Ce qui a été appelé la volatilité de l'électorat n'est pas le fait systématiquement des mêmes électeurs, c'est là que réside la part de faux dans l'interprétation qu'a entraînée le terme de volatilité. On a ainsi tendance à imaginer, une masse d'électeurs, toujours les mêmes, changeant d'attitude à chaque scrutin et parcourant le marché électoral, faisant et défaisant brutalement les majorités, l'abstention une fois, les écologistes une autre fois, gonflant le Parti Socialiste la fois suivante, ou glissant vivement du RPR, de l'UDF, du PS et du PC vers le Front National, pour revenir au second tour sur l'un des principaux partis. Tout cela n'est pas totalement inexact, une part de ces mouvements s'est effectuée, mais ils ne sont pas le fait des mêmes électeurs. Certains s'abstiennent une fois, puis retournent aux urnes au scrutin suivant, manifestent un vote critique puis reviennent à un parti majoritaire. Mais l'ampleur est assez forte et le phénomène d'opinion sur lequel il repose, assez durable, pour que la succession et la superposition de micro-décisions, accentuées au final par la mécanique du scrutin majoritaire à deux tours, donnent à voir des mouvements brusques qui modifient fortement la représentation politique.
L'Ouest aussi suit ces fluctuations vives qui sont la marque de l'évolution électorale nationale des années 1990. Au sortir des scrutins des années 1980, l'Ouest français ajoutait à la stabilisation et l'ancrage d'un vote de gauche aux élections locales et nationales (moindre recul en 1986, progression aux municipales de 1989), la dimension d'un vote légitimiste, que l'on pourrait identifier de centre gauche, mordant dans l'opinion de tonalité démocrate chrétienne. A l'élection présidentielle de 1988, la progression du vote Mitterrand dépassait celle de l'addition des voix de gauche, et signifiait un vote sur la personne, bien caractéristique de l'élection présidentielle au suffrage universel, et un vote pour le président en place. Les législatives qui suivirent dans la foulée, après dissolution, étaient tout à la fois une majorité de gouvernement accordée au président qui venait d'être élu et une désaffection sélective d'une partie de l'électorat de Droite qui jugeait inutile d'aller voter.
Le retournement du début de la décennie 90 apparaît d'autant plus spectaculaire. En 1992, lors des régionales et cantonales, le Parti Socialiste recule très fortement, comme nationalement en 1993, l'électorat se retire encore plus brutalement et fait chuter le Parti Socialiste au pouvoir et accorde une très forte majorité à l'UDF et au RPR. La carte de l'Ouest redevient quasiment toute bleue. A la différence de ce qui s'était passé dans les années 1980, lors du recul de la Gauche en général et du PS en particulier comme en 1986 (législatives et régionales à la proportionnelle), l'Ouest n'amortit pas ce recul. Il est aussi ample, aussi fort que nationalement. Vingt années de modifications d'opinion semblent effacées. C'est l'impression et l'opinion qui dominent tant au niveau de la France entière que des régions qui auraient connu les quinze années précédentes des modifications substantielles des rapports de force Droite/Gauche, au premier rang d'entre elles, les régions de l'Ouest. La fin du second septennat de François Mitterrand, le décalage entre la politique de ses gouvernements (E. Cresson - P. Bérégovoy), les difficultés sociales et l'attente des électeurs qui les avaient auparavant soutenus, entraînent le Parti Socialiste et la gauche dans son ensemble vers le fond. L'électorat est désorienté, une partie importante se retire. Le renouvellement des élus, l'apparition d'une nouvelle génération que seul le Parti Socialiste avait pu assurer fin des années 1980, ne paraît pas pouvoir enrayer ce mouvement d'opinion beaucoup plus fort. Les élections cantonales de 1992 et les régionales de la même année marquent le retrait ; celles de 1993 la retraite. A l'inverse, une nouvelle génération d'élus qui faisait tant défaut à Droite apparaît en 1993 et, de façon symétrique à ce que les nouveaux élus de gauche avaient fait dans les années 1980, s'installe à tous les niveaux de la représentation politique, nationale à l'Assemblée, régionale dans les Conseils Régionaux, locale dans les Conseils Régionaux.
L'architecture électorale de la décennie s'organise en deux pendants de part et d'autre de l'élection présidentielle de 1995. Le fonctionnement institutionnel de la Ve République et l'adhésion de l'électorat au régime présidentiel ne pouvait laisser imaginer le scénario que la France a vécu dans la seconde partie de la décennie 90. La majorité présidentielle de François Mitterrand en déroute trois ans avant la fin du septennat, l'effondrement du Parti Socialiste, ne laissaient envisager ni une présidentielle aussi serrée, ni l'étonnant rebondissement du mouvement social de 1995 quelques mois plus tard, la dissolution et la déroute qui s'ensuivit pourla Droite, le redressement d'une gauche plurielle requinquée qui, dans son élan, emporta les régionales de 1998. Si le centre de gravité demeure bien la présidentielle de 1995, la marque la plus importante de la décennie est sans doute le spectaculaire enchaînement de la dissolution, de la victoire presque surprise de la Gauche encore mal remise des étrillements électoraux des années précédentes, et des conséquences qui poussent jusqu'en 1998 aux régionales aux mêmes résultats et à des violentes explosions au sein de la Droite RPR-UDF.
Apparemment symétrique, la décennie 90, ne l'est en fait pas du tout, les échéances de la fin de la décennie renvoient aussi loin et aussi fort le balancier que les élections du début de la décennie, plus même, elles portent l'avantage à Gauche plus nettement. Les régions de l'Ouest épousent le mouvement national et dans le jeu de réduction/accentuation des écarts par rapport à la situation nationale, elles continuent de jouer à la réduction de l'écart Droite/Gauche puisqu'au début de la décennie 90, elles suivent le mouvement national mais ne l'amplifient pas, à l'avantage de la Droite, et qu'à la fin de la décennie, sur les deux scrutins - législatives et régionales -, elles l'amplifient à l'avantage de la Gauche.
Retournons en 1992, le climat est plutôt morose, le chômage persiste à un niveau élevé. Les restructurations destructrices d'emploi continuent de faire de l'emploi la préoccupation numéro un des français. Après onze années à la Présidence du pays et neuf années à la majorité de l'Assemblée, le Parti Socialiste est perçu comme usé. Les régionales et les cantonales qui ont lieu le même jour s'annoncent très mauvaises pour le Parti Socialiste. Les élections partielles de janvier l'ont conduit à des défaites sévères.