Les débuts de la Cinquième République sont marqués dans l'Ouest par une prépondérance de la Droite encore plus forte que sur le plan national. Dans l'ensemble de l'Ouest (Basse-Normandie - Bretagne - Pays de la Loire), les droites rassemblent près de 20 points de plus que la moyenne nationale et détiennent à l'issue des Législatives de 1958, tous les sièges de députés sauf deux. En Bretagne, la Droite centriste MRP, avec 15 sièges, détient près de la moitié de la représentation régionale. Pour la première fois depuis le Second Empire, aucun député de la Gauche n'est élu à l'assemblée nationale.
La Gauche, représentée par le Parti Communiste et la SFIO est en fort recul par rapport à 1956, et en position très faible comparée à la moyenne nationale : dans l'ensemble du Grand Ouest, elle recueille 24,40 % contre 42 % au niveau français.
Au sein de la Droite, les rapports de force entre Gaullistes, divers droites et centristes sont disparates selon les régions. Les Gaullistes, dès 1958, réalisent une percée en Basse-Normandie. Leur succès est moindre dans les Pays de la Loire et en Bretagne où se maintiennent les notables indépendants du MRP.
En Bretagne, les Gaullistes ne présentent pas, en 1958, une candidature partout, ils sont absents de 10 circonscriptions. Ils totalisent 16,5 % des suffrages et font élire 6 de leurs députés.
Au sein de la Gauche, le PC recule très fortement, de 7 points par rapport à 1956, recueillant 11 % sur l'ensemble Grand Ouest pour 18,9 % en moyenne française. Il conserve des positions au-dessus de 20 % dans six circonscriptions en Bretagne : Loudéac, Guingamp et Lannion dans les Côtes du Nord, et Quimper,Douarnenez et Quimperlé dans le Finistère. Partout ailleurs, il chute fortement. En Basse-Normandie, où en dehors de quelques isolats (Dives-Sur-Mer dans le Calvados, quelques villages miniers), il n'a jamais réussi à s'implanter électoralement, il réalise de très faibles scores.
La Gauche non communiste représentée par la SFIO, les radicaux-socialistes et quelques divers gauche, recule elle aussi fortement, plus fortement qu'au niveau national et que la composante communiste en Bretagne. Ainsi la Gauche, non communiste enregistre 12 points de moins en Bretagne que la moyenne nationale.
Dans ce contexte des débuts de la Vème République, dans la foulée du référendum de 1958, ce sont les déterminants nationaux de la situation politique qui prévalent. La répartition des influences sorties des urnes de 1958 est principalement déterminée par la faillite politique des institutions de la IVème République et la victoire politique du Gaullisme.
Cette victoire du Gaullisme ne s'est pas encore traduite en termes de partis, et nombre d'élus de droite qui le rallieront les années suivantes sont encore dans d'autres formations. C'est particulièrement net dans le Grand Ouest, en Basse-Normandie, Bretagne,et Pays de la Loire. L'hégémonie à droite est forte et confirmée en 1958, mais cette hégémonie n'est pas exclusivement gaulliste. Il faudra pour cela attendre les scrutins de 1962.
Au-delà de ces déterminants nationaux qui prévalent, l'ampleur de l'hégémonie de la Droite dans le Grand Ouest s'explique essentiellement, à mon sens, par le faisceau de faits suivants :
L'industrialisation extrêmement puissante, mais en cours n'a pas encore produit les regroupements sociaux qui constituent, à cette époque, les bases sociales de la Gauche. Nous reviendrons sur ce processus.
Là, où le personnel politique d'avant-guerre s'est engagé dans le vote des pleins pouvoirs à Pétain, et est frappé d'inéligibilité, les possessions des sièges qui étaient devenus brusquement vacants ne sont pas toutes stabilisées, et dans la foulée du référendum, le Gaullisme peut s'implanter avec l'aide des investissements d'État, des décisions de décentralisations, sans négliger bien sûr sa capacité d'attraction politique.
La faiblesse antérieure économique, industrielle ou financière du Grand Ouest n'a pas permis de produire de nombreuses familles d'hommes politiques à Droite, qui se différencieraient du Gaullisme.
On trouve un René Pleven dans les Côtes du Nord, un Christian Bonnet dans le Morbihan ou un Méhaignerie en Ile-et-Vilaine, mais personne en Basse-Normandie. Il faut à cela ajouter pour cette dernière région, le rôle de catalyseur et de construction mythique qu'ont pu jouer le débarquement allié, puis l'arrivée du Général de Gaulle dans les premières villes libérées. Un discours de Bayeux (juillet 1944) a sans nul doute plus joué dans les mécanismes d'adhésion au Gaullisme, même et surtout quinze années après, que les débats de politique intérieure du moment.
En 1958, le rapport de force électoral dans le Grand Ouest peut donc se résumer ainsi : trois quart à Droite, un quart à Gauche. Vingt cinq années plus tard, en 1981, le rapport Droite/Gauche s'établit approximativement à 50/50. Le changement est d'ampleur. Que s'est-il passé entre temps ?
En 1962 la bipolarisation politique, caractéristique de la Vème République s'affirme. Le Gaullisme installe, puis consolide une forte domination. Les élections législatives de 1962, qui suivent les référendums de janvier 1961 et avril 1962 sur la question algérienne et les accords d'Evian, et celui d'octobre 1962 sur le nouveau mode d'élection du Président de la République, marquent le triomphe électoral du Gaullisme.
La moyenne française des candidats gaullistes est de 30 %, soit dix points de plus qu'en 1958 ; la Bretagne et les Pays de la Loire sont à peu près à ce niveau, mais la Basse Normandie accorde un spectaculaire 48 %, et même 58 %, rapportés aux seules circonscriptions où un candidat gaulliste est présent.
En Bretagne, c'est en Loire Atlantique et dans le Finistère que la progression est la plus spectaculaire (respectivement + 56 % en voix et 136 %) J. Pihan et M. Nicolas soulignent que du "fait de leur poids démographique, le Finistère assure près du tiers des votes gaullistes et la Loire Atlantique, près du quart" (Pihan, Nicolas, 1988, page 50). Localement des scores de 75 % ne sont pas rares, à Landerneau, Pontivy, Valognes, Saumur.
Face aux Gaullistes, la Droite centriste fléchit. Elle est balayée en Basse-Normandie et se maintient mieux en Bretagne autour de personnalités telles que René Pleven ou Raymond Marcellin. Gaullistes et autres droites confondus, l'hégémonie de la Droite est écrasante.
A gauche, le PCF est la principale force, ce sera la dernière fois. Il est, en 1962 la constante d'opposition au Gaullisme.
Ce paysage politique va perdurer toute la décennie 60 et le début de la décennie 70. En 1965, le vote personnel que représente le scrutin présidentiel accentue encore la poussée gaulliste. Le premier tour, véritable mesure de l'adhésion directe, plus que le second où prévalent les multiples reports, accorde à François Mitterand parmi les plus bas scores français, particulièrement en Basse-Normandie.
En Bretagne, François Mitterrand recueille au premier tour, 26 % des suffrages soit 6 points de moins que la moyenne nationale. Seules, les Côtes du Nord sont légèrement au-dessus de la moyenne nationale. Les communes où il n'atteint pas les 10 % ne sont pas rares, particulièrement dans les zones rurales du Morbihan, de l'Ile et Vilaine, de la Loire Atlantique, du Finistère Nord, de Mayenne, de la Manche, de l'Orne, ou de Vendée.
Le second tour des présidentielles de 1965, les législatives de 1967, introduisent quelques variations, parmi lesquelles une remontée de la Gauche avec des rééquilibrages internes déjà perceptibles, comme au plan national. Ces variations ne modifient pas substantiellement le rapport de force global installé au début des années 60.
Le Choc social et politique de la crise aiguë de 1968 n'entame pas véritablement la situation sur le plan de la représentation politique. Il est même immédiatement suivi du vote de juin 68, vote de confortement exceptionnel pour le gouvernement Pompidou, au bord du gouffre quatre semaines auparavant. Il existe un décalage, nous y reviendrons, comme dans le processus national, entre le choc politique et social et son enregistrement électoral.