Analyse du second tour

5 mai 2002

Auteur : Pascal Buléon


Le deuxième tour de l'élection présidentielle, hier 5 mai, aura été atypique jusqu'au bout : après l'élimination de près de la moitié de l'opinion française et la mise en selle d'un démagogue d'extrême-droite pour le second tour, le sursaut républicain de grande ampleur a contenu Le Pen à moins de 20 % et accordé à Chirac un 80 % hors des normes politiques contemporaines en France comme en Europe.

Tout était et tout est encore hors des normes dans cette élection au second tour comme au premier : l'effondrement des partis du gouvernement, le plus bas score historique d'un président sortant, le naufrage de la candidature Jospin après une longévité et une cote elle aussi inhabituelle pendant cinq ans, la quasi disparition du PC, la montée de l'extrême-gauche, et surtout la présence de Le Pen au second tour, résultat du maintien de son électorat au milieu des décombres des autres.

Sursaut républicain pendant deux semaines dans toute la société amenant une jeune génération à sa première expérience politique et par électrochoc redonnant à une large fraction de l'opinion le sentiment de la fragilité toujours possible d'une démocratie et de la nécessité du réinvestissement de la chose publique. Les vagues de manifestations quelles que soient les discussions sur les comptages ont jeté dans un élan collectif autour de deux millions de français soit parmi les plus grandes manifestations de l'Après-Guerre.

Sursaut républicain dans les urnes avec 10 % de participation supplémentaire, donnant 82 % au président sortant, forte expression d'une affirmation des valeurs démocratiques rejetant le leader d'extrême-droite.

Le résultat a réjoui les démocrates en France comme à l'étranger, mais le champ de décombres politique est toujours là, le vote Le Pen a été fortement contenu mais n'a pas reculé, ses multiples racines sont toujours vivaces.

L'arithmétique comme la géographie du vote du deuxième tour se lisent en creux, sur le vote Le Pen, le vote Chirac s'étant transformé en réponse à un référendum démocratique.

La participation a fait un bond considérable : presque 10 % pour atteindre plus de 80 %, ce qui remet au niveau de 1995, mais demeure plus faible qu'en 1988, 1981 et 1974 pour les plus proches ; blancs et nuls autour de 5 % des inscrits, niveau très élevé.

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L'arithmétique est qu'au total, si la participation supplémentaire s'est portée contre Le Pen, conduisant à ce rapport 80/20 en % des exprimés qui est - et est perçu comme tel - une victore démocratique, en nombre de voix Le Pen a progressé légèrement. Sa signification politique à un second tour, somme toute différente d'un coup de gueule de 1er tour, n'a pas freiné la convergence hétéroclite qui la porte à plus de 5 millions de voix. Le vote est toujours protestataire, ne s'émeut pas de sa signification et à l'image de l'impulsion qui y a conduit, s'y enferme.

Au niveau des départements, les points forts du second tour pour Le Pen sont pour l'essentiel ceux non seulement du premier tour mais ceux d'une implantation ancienne maintenant : le Sud-Est, l'Est, le Roussillon et la Vallée de la Garonne, les confins de l'Ile-de-France, et plus généralement toute une moitié Est de la France.

Regardé en pourcentage, on relève des reculs dans une vingtaine de départements (cf. carte différence en pourcentages), mais ce n'est pas le trait dominant. Le vote Le Pen, contenu, rend bien compte de cette réalité : contenu en deçà de 20 % par le jeu d'une mobilisation républicaine de Droite et de Gauche, il a même légèrement progressé en voix.

Il n'y a que dans le Bas-Rhin et la Haute-Savoie qu'il recule en voix, il progresse dans tous les autres départements. Cette progression dépasse les 24.000 voix dans le Var, les Bouches-du-Rhône, le Nord et le Pas-de-Calais, quatre départements bien différents dans leur contexte et leur structure sociale.

Dans l'Ouest, on retrouve deux traits caractéristiques déjà connus mais accentués cette fois : le niveau est plus faible que nationalement, mais les marges du Calvados, de l'Orne et de la Sarthe tirent vers le niveau national et les villes votent très significativement moins (de 4 à 6 points) que les zones rurales, périurbaines et littorales.

Si ces résultats laissent présager près de 300 triangulaires en France et plusieurs possibles pour la première fois dans l'Ouest (Honfleur, Lisieux dans le Calvados, Argentan et Mortagne dans l'Orne, 3ème circonscription de la Sarthe, 2ème et 3ème du Morbihan), peu d'autres traits peuvent être projetés dans ce scrutin tout proche. Il faudra plus d'un seul scrutin pour remédier aux maux profonds qui ont fait surgir ces résultats.


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