L'Ouest corrige 1992 et s'inscrit encore plus dans le profil national

Auteur : Pascal Buléon


L'Ouest s'inscrit très bien encore une fois dans le cours du mouvement national d'opinion de ces élections régionales, jusque dans les nuances de ses résultats. Le rééquilibrage de 1992 se fait, la Bretagne est presque à égalité, les Verts y sont affaiblis, le Front National stagne ou recule légèrement, la Droite y obtient sa seule majorité absolue française dans les Pays de la Loire, et y réalise un des seuls scores équivalents à 1992, dans le Calvados. Enumération contrastée, mais qui confirme à ce scrutin que l'Ouest, après les deux à-coups brusques de 1993 et 1997, continue de s'insérer dans un profil d'opinion proche de la situation nationale, tout en construisant quelques traits spécifiques durables. Cette inscription et ces traits spécifiques en font un modèle quasi opposé à celui de Provence-Alpes-Côte d'Azur. En Bretagne, l'égalité est presque atteinte : 37 sièges à Gauche pour 39 à Droite. La récupération de la Gauche est nette par rapport à 1992 : 6 %, mais elle reste en deçà de 1997. Partout au-delà de 30 %, son progrès est net dans le Morbihan où une dynamique a joué derrière Jean-Yves Le Drian, maire de Lorient, candidat à la présidence de Région et qui amène la Gauche quasiment à égalité de la Droite dans le fief longtemps incontesté de Raymond Marcellin.

Les Verts, engagés dans des stratégies différentes, associés à la Gauche plurielle, dans trois des quatre départements, mais en liste dissidente dans le Finistère, concurrencés par diverses listes se réclamant aussi de l'écologie, pâtissent de cette dispersion en termes de sièges, s'ils y gagnent en positionnement politique national. Le Parti Communiste au sein de la Gauche plurielle double ses sièges et en obtient 6.

Le Front National ne dépasse les 8 % que dans le Morbihan (10 %). Il régresse légèrement en points sur 1992, et conserve ses 7 sièges. La Droite conserve la présidence. Jocelin Le Rohan remplace Yvon Bourges.

Dans les Pays de la Loire, la Droite fait donc son meilleur résultat national. La dispersion des listes et la bataille entre François Fillon et Hervé de Charrette qui tourne à l'avantage du premier ne l'a pas privé de ce résultat. C'est en Mayenne qu'elle réalise son meilleur résultat, les trois listes, RPR, UDF et DD, totalisent plus de 53 %, l'ensemble est largement dominé par l'UDF.

La Gauche récupère là aussi de son KO de 1992, mais ne progresse que légèrement, en deçà de la progression de Bretagne. Les dissensions qui se sont produites en Maine-et-Loire et Vendée en sont quelques raisons. Le meilleur score de la Gauche plurielle est réalisé en Loire-Atlantique avec 32,9 % auxquels peuvent être ajoutés deux listes d'extrême Gauche qui totalisent 7 %. C'est dans la Sarthe d'ailleurs que LO obtient un élu, le seul des Pays de la Loire, mais le second de l'Ouest avec celui des Côtes d'Armor. L'écologie est divisée entre des Verts sur les listes Gauche plurielle, des Verts seuls comme dans le Maine-et-Loire, des candidats de Génération Ecologie, des écologistes divers. Le brouillage est fort et les électeurs ne s'y retrouvent pas. Les listes écologistes restent souvent en deçà du seuil des 5 %. Le Front National réalise de 7,7 à 9,8 %, mais ne franchit pas la barre des 10 %. Avec 7 élus, il ne pèse pas sur l'élection du président.

Finalement, si les niveaux atteints par la Droite se sont érodés, si son meilleur score en Mayenne se situe entre 50 et 55 %, mais à moins de 40 % en Loire-Atlantique, sa majorité n'est pas mise en danger. Cette région demeure la seule région française en mars 1998 où la Droite classique dispose d'une majorité absolue, bénéficiant de dissensions et d'une petite progression de la Gauche, de la dispersion des voix écologistes et du maintien du Front National en deçà d'un seuil de nuisance qu'il a atteint dans beaucoup d'autres régions.

La Basse-Normandie, au sein des trois régions, se présentait à la veille du scrutin dans une position plus proche de la Bretagne que des Pays de la Loire. Pour la première fois, la présidence pouvait être ébranlée voire en jeu. L'évolution régulière des différents scrutins, le coup détonant des Législatives 1997 emportant à Gauche 5 des 6 circonscriptions du Calvados, le poids de ce département représentant presque la moitié des inscrits de la région, l'affaiblissement du système notabiliaire classique pouvaient conduire à des modifications.

Il n'en fut rien. La Droite maintient de bons résultats, particulièrement dans le Calvados, la Gauche sort du trou de 1992, mais obtient des résultats mitigés. Le Front National n'est pas en position d'influence et René Garrec récupère son siège, de façon quasi inespérée.

Ce scrutin montre bien comment la faible marge de suffrages, 4 à 5 %, qui fait les majorités, celles de 1993, celles de 1997, n'est dans la décennie 90 jamais acquis, et que les jeux de candidatures, les dissensions, font rapidement refluer une partie décisive de l'électorat. La position de la Gauche fin des années 90 dans cette région le montre bien.

L'effondrement de 1992 l'avait ramenée à ses plus bas niveaux historiques depuis le début des années 70. 22 % pour le Parti Socialiste dans le Calvados, moins de 30 % pour la Gauche PS-PC, 14,5 % dans la Manche (moins de 20 % PS-PC), 15,9 % dans l'Orne (moins de 20 % PS-PC). La Présidentielle de 1995 l'avait ramené dans la trajectoire d'équilibrage d'influence se rapprochant du profil national et les Législatives de 1997 l'avaient même projeté au-delà. 1998 montre la fragilité de cet édifice et qu'un scrutin au-delà d'un niveau standard du moment, le partage de l'opinion, sont fait d'une relation dynamique entre un candidat ou des listes et des électeurs qui adhèrent à une perspective. Quand cette dynamique prend mal, en particulier dans le contexte actuel quand les dissensions apparaissent aux yeux des électeurs plus comme des freins ou des enjeux personnels, alors la défection et la sanction sont nettes.

La Gauche pouvait espérer passer la barre des 40 % dans le Calvados, et des 30 % dans l'Orne et la Manche. Dans l'Orne, la tête de liste radicale de la liste PS - Radicaux, François Doubin, maire d'Argentan ne faisant l'unanimité ni avec le PC, ni au sein du PS, cinq listes au total à Gauche sont présentes. Dans le Calvados, le conflit extrêmement vif entre Louis Mexandeau, Député, et François Geindre, maire d'Hérouville, sur la tête de liste jette un fort trouble dans l'électorat de Gauche.

Les résultats s'en ressentent. De toute la région, seule la partie nord du département de la Manche obtient son potentiel, la liste Godefroy, maire de Cherbourg, y réalise 42 %, avec les Verts 48 %. On retrouve un partage traditionnel du département, le nord opposé au sud. Sur l'ensemble du département, bien que sortant du puits des 18 % (PS-PC) de 1992, la Gauche PS-PC ne dépasse pas les 30 %, en obtenant 24,4 % et avec les Verts, liste emmenée par Didier Anger responsable reconnu (6,26 %) atteint à peine ces 30 %.

Dans l'Orne, le PS a lui seul n'a regagné que trois points sur 1992 et n'atteint pas les 20% (19,4 %). Le total Gauche, incluant les Verts, dépasse légèrement les 32 %, mais éparpillés sur 5 listes ne produit que peu de sièges. Les 45 % des Législatives sont bien loin.

Le Calvados génère une situation pire encore pour la Gauche. En 1986, le PS et le PC obtenait 42 % dans un contexte national de reflux. En 1992, PC (6,5), PS (22), et Verts (5,6) totalisaient 35 %. En 1998, PS-PC réalisent 30,68 %, les Verts 3,92 %, soit une légère progression en pourcentages et le même nombre de voix qu'en 1992, très loin des 154 000 et 43 % des Législatives précédentes. C'est la stagnation à un point bas. Les électeurs « supplémentaires », ceux qui font la majorité ne se sont pas déplacés. Ils ne sont pas partis non plus sur les écologistes, ils n'ont pas regonflé les suffrages de la Droite, ils ne sont pas allés nettement plus nombreux qu'auparavant au Front National. Une forte partie de l'abstention se situe sans doute là.

La Droite ne fait pas d'excellents scores, mais ce niveau lui permet d'obtenir un bon résultat en sièges. En voix et en pourcentages, elle n'atteint pas le résultat de 1992, encore moins de 1986. Dans le Calvados, la liste RPR-UDF, menée par René Garrec avec 84 000 voix et 34,5 %, se situe 7 000 voix et un demi-point au-dessous de 1992, mais 12 points au-dessous de 1986.

Dans la Manche, la liste RPR-UDF est dans la même unité de points qu'en 1992 (33,8% et 34,6 %), dans l'Orne elle recule de 4 points. Ces maintiens et faibles variations suffisent pour la maintenir en majorité relative confortable à l'assemblée régionale avec 22 conseillers sur 47.

Les Régionales de 1992 avaient vu le vote écologiste s'épanouir en Basse-Normandie comme dans tout l'Ouest. La configuration politique de 1998 conduit à la même situation qu'en Bretagne et Pays de la Loire. Les Verts sont ramenés à la portion congrue : moins de 4 % dans le Calvados, moins de 6 % dans l'Orne et à peine plus de 6 % dans la Manche.

Le Front National est lui en léger recul dans le Calvados, net parfois dans les villes comme à Caen, et en légère progression dans l'Orne et la Manche. Il stagne autour de 10,5 - 11,5 % ce qui est très en deçà des 15 % nationaux, mais le stabilise à 10 % presque tout le long de la décennie. La Basse-Normandie reste ainsi dans le bloc des régions de France où le Front National s'ancre moins, mais des trois régions de l'Ouest, c'est néanmoins là qu'il progresse le plus et ce de façon réitérée.

Cartographiés à l'échelle des cantons, ces résultats font ressortir les structures spatiales des votes qui sont devenues familières tout au long de la décennie 90.

La dorsale forte de la Droite, même si le niveau en voix et en pourcentages continue de se modifier, court de Valognes dans le nord de la Manche, à la Vendée suivant un arc intérieur englobant l'essentiel du département de la Manche, tout le bocage normand et mayennais, un renflement avec l'Orne et le sud du Calvados, un couloir à cheval sur Maine-et-Loire et Loire-Atlantique. En Bretagne, ne se détachent que les cantons du Léon dans le Finistère, et quelques cantons au centre Bretagne. Le Morbihan a disparu de cette figure. C'est la configuration la plus restreinte de l'assise de la Droite (cf. schémas p. 127). A la même échelle, l'assise fondamentale de la Gauche ressort : les villes et le péri-urbain. La quasi-totalité des cantons à plus de 35 % sont urbains ou péri-urbains.

Regardés au niveau du canton, les résultats du Front National en 1998, font bien ressortir la progressive pénétration par l'Est de la Basse-Normandie en contiguïté avec la Haute-Normandie et l'Ile-de-France. Tous les cantons à plus de 15 % sauf un sont au contact de ces régions. La Basse-Normandie dans son ensemble, apparaît un cran au-dessus de la Bretagne et des Pays de la Loire, plus souvent entre 10 et 15 %, qu'entre 5 et 10 %, avec cette particularité, l'agglomération de Caen et ses environs qui se situent au-dessous des 10 %. La seconde structure qui ressort est le tropisme littoral : la quasi-totalité des cantons littoraux de Basse-Normandie (sauf Honfleur, La Hague et Isigny-sur-Mer), des cantons littoraux de Vendée, de Loire-Atlantique et du Morbihan se situent dans la fourchette 10 - 15 % en décalage avec la masse des cantons de l'intérieur.

Cette structure des différentes zones de forces se retrouve tout au long de la décennie 90 pour la Gauche comme pour la Droite, elle est dans la filiation des années 80. Il n'y a nul bouleversement dans ces élections locales de la fin de la décennie. Arrimés sur les mêmes points d'ancrage, elles se dilatent (ici pour le Front National), se rétractent (ici pour la Droite sur l'arc de l'Ouest intérieur), se stabilisent (ici à un point bas sur les agglomérations et le péri-urbain pour la Gauche).

Cette troisième édition d'élections régionales qui ont ponctué à intervalles de six années les deux dernières décennies, se traduit pour l'Ouest par une stabilisation des structures de forces et des résultats en demi-teintes après les brusques variations qui ont caractérisé les années 90. Pendant des élections de 1992, les Régionales de 1998 se traduisent par une progression de la Gauche par rapport à ce point extrêmement bas, mais cette progression est modérée, dans l'Ouest comme au niveau national. L'expression radicale et critique qui était apparue autour des Verts plus fortement qu'ailleurs s'est dispersée et ponctuellement s'est traduite par une poussée de votes de Gauche radicale (LO). La Droite n'a pas reconquis de position plus forte, son assise reste rétrécie, mais elle réalise quand même quelques-uns de ses meilleurs résultats nationaux, en particulier parce que le Front National ne progresse que peu, et reste 30 % en dessous de la moyenne nationale. A la différence de plusieurs régions dont la proche Haute-Normandie, le Front National n'est nulle part dans l'Ouest en position de peser sur l'élection du Président. Ces épisodes qui vont marquer les Régionales 1998 en France et approfondir les difficultés des partis de Droite n'existent pas dans l'Ouest. Cela reste une de ses fortes caractéristiques. Le modèle Ouest connaît quelques variantes conjoncturelles mais conserve ses principaux traits essentiels essentiellement façonnés au cours des décennies 80 et 90.


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