Législatives 1997

Auteur : Pascal Buléon


Le milieu de la décennie 1990 passé, la clé de voûte du système électoral de la Ve posée avec la Présidentielle, il ne devait pas y avoir d'échéances électorales avant 1998. Les Législatives s'y seraient tenues entre mars et avril. Chacun sait aujourd'hui que ce calendrier a été bousculé. Le Président de la République, Jacques Chirac, le lundi 21 avril 1997 annonce au pays la dissolution de l'Assemblée Nationale et la tenue d'élections législatives anticipées les 25 mai et 1er juin. Il n'avait pas dissous immédiatement après son élection, contrairement à François Mitterrand en 1981 et 1988. L'énorme majorité du RPR et de l'UDF de 1993 n'aurait pu être conservée, les conditions n'y étaient plus. L'intérêt politique immédiat était mineur ou nul comparé aux avantages d'une majorité écrasante déjà constituée. Le revers de cet avantage était que deux ans de la législature étaient déjà consommés et que des élections distantes en date des Présidentielles avaient toutes les possibilités et les risques d'être également distantes sur le plan politique. Mais cela vu de 1995, c'était plus tard.

La préparation des échéances européennes, et le besoin exprimé par le président d'un nouvel élan qu'auraient dû incarner ces Législatives anticipées, ne pouvaient dissimuler le principal objectif : re-légitimer le Premier Ministre Alain Juppé et obtenir de nouveau une majorité à l'Assemblée en anticipant sur l'échéance normale de 1998 qui semblait plus risquée.

Des rumeurs de dissolution avaient couru tout l'hiver, sans qu'elles soient prises de part et d'autre pour l'hypothèse la plus probable. Aussi, l'annonce de la dissolution par le Président Jacques Chirac détonna dans l'opinion publique comme dans le monde politique. Elle surprit, elle laissa perplexe et ses raisons ne furent pas très bien comprises. Les sondages d'opinion étant devenus en France une denrée quotidienne, nous en ferons quelque usage pour cette période sans leur accorder un quelconque intérêt prédictif, - ce n'est pas là qu'ils excellent -, mais pour faire apparaître quelques traits dominants de l'opinion publique. Ainsi, le premier sondage effectué après l'annonce de la dissolution fait apparaître cette perplexité : 40 % de l'échantillon représentatif ont été convaincus par l'allocution du Président, 35 % peu et 22 % pas du tout. 80 %, toutes opinions confondues, dits "ensemble des français" la perçoivent comme une manoeuvre politique.

A la question rituelle des intentions de vote : 38 % sont accordés à la Gauche, 37 % à la majorité de Droite et une projection donne une nette majorité de sièges à Droite. Aucun de ces chiffres ne vaut vraiment en soi, mais le sens qu'ils expriment est à relever. Perplexité, égalité de rapport de force à l'annonce de la dissolution.

Deux ans presque jour pour jour après la Présidentielle, démarre la campagne des Législatives. Elle sera nécessairement brève, c'est l'un des buts de la dissolution. Elle démarre tambour battant et se heurte dès les premières heures à l'une des raisons même qui l'ont provoquée : Alain Juppé, Premier Ministre depuis deux ans, qui va conduire la campagne en tant que chef de la majorité, est affecté d'une très forte impopularité, rare à ce niveau. Fin avril, dans un sondage, 11 % de l'échantillon souhaite son maintien en tant que Premier Ministre en cas de victoire de la Droite. Cela restera et s'amplifiera comme le problème majeur de la compagne de la Droite sur fond de divergences de leaders et de formations.

La crise sociale qui s'est déclenchée en novembre - décembre 1995 était un mélange nécessairement compliqué des problèmes structurels et d'inquiétudes profondes de la population française. Elle n'a pris forme, sur ce substrat de conditions nécessaires à son apparition, que par l'aiguillon et le levain qu'a constitué la méthode de gouvernement d'Alain Juppé. Elle a duré plusieurs semaines, a pénétré profondément le corps social français, provoquant les mobilisations parmi les plus fortes des quarante dernières années en France. Elle ne s'est pas transformée en crise politique, ce qui aurait pu être une des trajectoires. Il en est resté une cristallisation d'opinions négatives et de rejets sur le Premier Ministre, cristallisation très durable, qui est très vivace encore en 1997. Le choix du Président de re-légitimer son Premier Ministre, d'en faire le chef de campagne de sa majorité pour les Législatives lestait obligatoirement la Droite de ce fardeau politique et présentait le risque de lui en faire payer le prix.

Dans les courtes semaines de campagne, beaucoup de calculs politiques sophistiqués furent produits à Droite et à Gauche. La situation dans l'opinion était toujours plus simple, ou plutôt plus compliquée : l'attente de l'opinion, celle qui ressortait par-delà les vingt-cinq questions des trois sondages quotidiens, restait obstinément et simplement la même qu'aux Présidentielles de deux années auparavant, qu'aux scrutins des années précédentes : apporter une amélioration aux principaux problèmes, au premier rang desquels l'emploi, des réformes, et un changement des conditions de vie. Une enquête IPSOS de début mai auprès des moins de 30 ans, fait apparaître que 77 % d'entre eux estiment que le choix entre deux camps politiques "ne changera pas grand-chose". Leurs préoccupations premières sont l'emploi, le temps de travail et l'Europe. L'enquête accorde dans cette tranche d'âge, un léger avantage à la Gauche, ce qui n'était pas le cas en 1993 ou 1995. La période précédant l'élection va voir se multiplier les sondages et la consultation des oracles. Les entrailles demeurent obstinément obscures et indécises. Sur cinq sondages réalisés entre le 2 mai et le 8 mai, 4 sur 5 indiquent une progression de la Gauche et une majorité de sièges pour la Droite.

C'est dans ce contexte que les candidatures vont se déclarer, et les accords se nouer au pas de charge. La majorité de Droite, voulant bénéficier de l'effet de surprise et de désorganisation, joue le candidat unique. La Gauche noue des accords, qui étaient envisagés mais pas à ces échéances : les Verts, le MDC, et le PC concluent des alliances avec le Parti Socialiste. Chacun garde ses spécificités, les déclarations évitent d'être tonitruantes ou de rappeler les accords des années 1970 et 1980. Beaucoup de candidats sont sur lesrangs : 6.300 pour 577 sièges, soit une moyenne de 11 par circonscription, beaucoup plus qu'en 1993 où ils étaient 5.163, soit un peu plus de 9 en moyenne par circonscription, beaucoup plus encore qu'en 1988 où ils étaient 2.800, plus de deux fois moins.


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