Premier tour dans l'Ouest

Jospin et Balladur en tête, les Ecologistes en recul, le Front National progresse

Auteur : Pascal Buléon


Revenant sur le premier tour, les résultats sont nettement plus nuancés que le résultat final ne le laisse apparaître. Au premier tour, Jacques Chirac n'est en tête que dans un département : l'Orne avec 23 %. Lionel Jospin est en tête dans six départements : les Côtes d'Armor (27,5%), le Finistère (26,1 %), l'Ille-et-Vilaine (25,6 %), le Calvados (23,8 %), la Loire-Atlantique (26,15 %) et la Sarthe (23,5 %). Edouard Balladur est en tête dans quatre départements : le Morbihan (23,3 %), la Manche (24,1 %), le Maine-et-Loire (25 %) et la Mayenne (26,76 %).

Les Ecologistes qui ont fait une contre-performance nationalement, conservent de meilleures positions dans l'Ouest, sans que les scores ne dépassent les 5 %. Dominique Voynet ne passe les 5 % que dans son département, le Jura. Dans la plupart des départements de l'Ouest, ses scores se situent entre 3,5 % et 5 %, scores marginaux, en recul sur les élections antérieures. En Bretagne, Dominique Voynet réalise son meilleur score en Ille-et-Vilaine : 4,33 %. En Basse-Normandie, ce n'est pas dans la Manche, département où plusieurs fois les résultats avaient été parmi les meilleurs français que le résultat est le plus élevé, c'est dans le Calvados (3,65 %) mais cela demeure dans la fourchette des 3-4 %. En Pays de la Loire, la situation est similaire, les 4,20 % de la Loire-Atlantique constituent le meilleur score de Dominique Voynet qui dans l'ensemble des départements de l'Ouest, comme nationalement, est presque tout le temps devancée par Arlette Laguiller. Elections de basses eaux pour les Ecologistes. La particularité de l'Ouest demeure néanmoins dans ce contexte : même à un niveau faible, les Ecologistes font de meilleurs résultats dans l'Ouest, comme sur une bande Est qui coure de l'Alsace aux Alpes.

La seconde particularité de l'Ouest, soulignée depuis la fin des années 1980, celle d'un moindre ancrage du Front National, se confirme elle aussi. Doté d'une moyenne nationale de 15 %, J.M. Le Pen n'enregistre ce score dans aucun département de l'Ouest. S'il approche les 15 % dans l'Orne, six des douze départements lui accordent moins de 10 %. Des trois régions, c'est en Basse-Normandie qu'il obtient le plus, en contiguïté avec des régions à plus fort vote Le Pen (la Haute-Normandie et la région Centre) et en Bretagne où il obtient le moins. En Bretagne, hormis le Morbihan, Le Pen recueille moins de 10 %. Les Pays de la Loire sont dans une position intermédiaire entre la Bretagne et la Basse-Normandie. Il y enregistre le plus faible résultat : 7,5 % en Vendée, - où on peut estimer qu'une fraction de l'électorat qui aurait pu se tourner vers Le Pen a été vers de Villiers -, et 11,4 % dans la Sarthe. Il obtient 10 % dans une seule ville de plus de 100 000 habitants : Le Mans. A Caen, Brest, Rennes, Nantes et Angers, les cinq autres villes de plus de 100 000 habitants, il recueille moins de 10 %.

Cette position relative du vote Le Pen dans les villes de l'Ouest est à relever. Contrairement à d'autres régions de France, ce n'est pas systématiquement dans les villes les plus importantes que le vote Le Pen est le plus important, ce n'est pas là non plus qu'il est d'abord apparu, le vote de Le Pen était plus faible dans les villes, ou les périphéries urbaines populaires au début des années 1990 que dans l'ensemble d'un département, ce n'est que quelques années plus tard que cet écart s'est comblé, tel à Octeville dans l'agglomération de Cherbourg ou à Hérouville dans l'agglomération de Caen, ou dans les quartiers de grands ensembles des plus grandes villes. En 1995, les principales villes, Nantes, Rennes, Caen, Brest, Le Mans, lui accordent un score inférieur à la moyenne du département. S'il passe la barre des 10 % avec 10,59 % au Mans, cela reste en deçà des 11,43 % de la Sarthe. A Rennes, l'écart est de plus d'un point et à Caen de trois points.

Au niveau des villes petites et moyennes, il ne se dégage pas de tendance très nette. Sur 49 d'entre elles dans les trois régions, 29 accordent à J.M. Le Pen un résultat inférieur à la moyenne de leur département. Les situations sont néanmoins contrastées. Dans le groupe des villes où Le Pen fait un meilleur score, on recense Flers (17,12 %) dans l'Orne quand Alençon reste à 11,7 %, trois points en deçà de la moyenne du département ; Allonnes (13,4 %) dans la Sarthe, deux points au-dessus du département ; Lorient 14,39 % (13,78 % moyenne départementale) ; Plérin 10,5 % dans les Côtes d'Armor (8,84 % département) ou Concarneau 10,31 %, un point au-dessus de la moyenne du Finistère. Dans le groupe des villes où les résultats de Le Pen sont inférieurs aux moyennes des départements, on recense aussi bien Vitré à 6,65 % contre 8,98 % moyenne Ille-et-Vilaine, fief de droite, qu'Hennebont 10,53 % contre 13,78 % moyenne Morbihan, fief populaire de gauche. On recense Bayeux 9,35 %, Saint-Lô 8,84 %, Cherbourg 10,20 %, Pontivy 10,03 %, Lannion 7,27 %, Morlaix 7,18 %, Les Herbiers 4,74 % (asséché par le vote de Villiers), La Roche-sur-Yon 5,51 %. Ces deux groupes de villes coexistent : on peut opposer Lannion (plus faible) à Plérin (plus fort), Vitré (plus faible) à Saint-Malo (plus fort), Hennebont (plus faible) à Lorient (plus fort), Morlaix (plus faible) à Concarneau (plus fort), Argentan (plus faible) à Flers (plus fort), Bayeux (plus faible) à Lisieux (plus fort) ou Saint-Lô (plus faible) à Tourlaville (plus fort).

Contrairement aux plus grandes villes de l'Ouest, il ne se dégage pas de tendance nette au niveau des plus petites agglomérations. Les écarts ne sont pas non plus de si grande ampleur pour pouvoir en tirer des conclusions assurées. Chacune des histoires sociales et politiques des villes concernées pourrait rendre compte de cette évolution. La situation marque surtout, là comme ailleurs, la capacité attrape-tout du vote Le Pen et la caractéristique tout-terrain qui en résulte. Elle est lisible dans l'Ouest également, bien que le niveau d'ensemble reste en deçà du niveau national, et que les villes ne constituent pas un terreau nettement plus propice à son développement.

Il existe bien une progression du vote Le Pen entre 1988 et 1995 dans les régions de l'Ouest. Dans trois départements, néanmoins, il subit un recul : dans le Finistère, en Loire-Atlantique et en Vendée. Ces reculs sont faibles, au maximum d'un point et demi. La plus forte progression se situe dans l'Orne (3 points), puis dans la Sarthe (2 points). Soulignons encore la contiguïté géographique avec les régions plus à l'Est, déjà à scores plus élevés. Au niveau en dessous, la progression s'est effectuée de la même façon au cours des années précédentes en Basse-Normandie, les parties est des départements du Calvados et de l'Orne ont accordé des scores plus importants que les parties ouest. Hormis les deux progressions plus rapides de l'Orne et la Sarthe, la progression est plus faible dans les autres départements : entre 1,33 % dans le Calvados et 0,35 % dans la Manche et l'Ille-et-Vilaine. La tendance générale est bien à la hausse, mais selon un rythme relativement faible. L'ensemble de l'Ouest demeure une partie du territoire français moins réceptive au vote Le Pen. Des trois régions, la Bretagne est celle où le vote Le Pen est durablement la plus faible, et sa progression d'ensemble est parallèle au mouvement national mais à des niveaux plus faibles et plus sensibles dans les départements proches de la région parisienne.


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