Analyse du second tour

16 juin 2002

Auteur : Pascal Buléon


L'incroyable enchaînement électoral débuté au premier tour de l'élection présidentielle se termine par un tableau politique final d'une facture très classique : la majorité présidentielle est confirmée, la Droite très majoritaire, la Gauche perd mais n'est pas écrasée en voix.

Le premier tour des Présidentielles paraît politiquement bien loin, ce n'était pourtant qu'il y a moins de deux mois. La facture du deuxième tour des Législatives apparaît bien classique si ce n'est l'abstention. Une abstention encore jamais atteinte à un second tour de législatives (plus de 39 %) ; nouveau record en la matière qui vient s'ajouter aux quelques autres des deux derniers mois.

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Cette abstention explique pour une part les résultats en sièges pour nombre de circonscriptions relativement "serrées", c'est un aspect conjoncturel. Plus profondément elle est l'élément qui dénote dans la facture classique.

En fait, si tout paraît bien tranquille dans ce résultat d'alternance, rien ne l'est et l'abstention le rappelle : près d'un électeur sur deux n'a pas trouvé l'intérêt de désigner ses représentants politiques, J.M. Le Pen a déposé L. Jospin au premier tour de l'élection présidentielle, les deux sortants de la cohabitation ont tout deux enregistré moins de 20 %, un sursaut républicain a accordé 80 % à Jacques Chirac et contenu le vote de Le Pen, quelques semaines plus tard les partis politiques ne se sont pas substantiellement positionnés différemment du premier tour de la Présidentielle et si un vote utile a laminé tous les petits partis, si le vote FN a régressé, l'abstention est revenue en force.

En terme de poids électoral, les Législatives 2002 se situent entre celles de 1993 et celles de 1997 : la Droite l'emporte très largement, le deuxième tour confirmant le premier, la Gauche perd mais plus en sièges qu'en voix et ne touche pas les très bas niveaux de 1993 (90 sièges PS-PC et DVG).

Dans le Grand Ouest cette position médiane est très nette : sur 70 circonscriptions, la Gauche en 1997, à son plus haut niveau, en obtenait 30, elle en conserve 14 aujourd'hui quand elle était réduite à 6 en 1993.

En Basse-Normandie, c'est le grand chelem pour la Droite : les 14 circonscriptions des trois départements sont à Droite au lendemain de ce second tour. Plusieurs circonscriptions étaient serrées, mais la plus ancrée à Gauche, celle de Caen-est, Louis Mexandeau l'a perdue.

Cette perte est la convergence d'une conjoncture nationale favorable à Droite et surtout d'un désaveu du sortant par l'électorat de Gauche. Cette circonscription est dans les divers scrutins depuis vingt ans dans un rapport d'environ 55/45 - 60/40 favorable à Gauche.

Pour que R. Thomas, jeune maire d'Hérouville élu dans des circonstances similaires aux Municipales, l'emporte, il a fallu l'enchaînement suivant : que Louis Mexandeau perde 1.000 voix sur son potentiel de premier tour et 3.000 voix sur son résultat de 1993 quand le PS était à terre nationalement, que Rodolphe Thomas gagne 4.000 voix sur son potentiel de premier tour, que des électeurs de premier tour s'abstiennent, que des abstentionnistes de premier tour viennent très nombreux voter contre le sortant. L'improbable est arrivé.

Ce schéma là ne s'est produit dans aucune des autres circonscriptions perdues par la Gauche en Basse-Normandie.

Dans la circonscription de Bayeux, la candidate Robert-Kerbrat (Verts) réalise un honorable 40 %.

Dans la circonscription de Lisieux, C. Valter ne fait pas un bon score en voix (- 1.000 / Y. Roudy en 1993) mais C. Leteurtre qui l'emporte aisément de façon prévisible (56 %) perd aussi 3.000 voix sur son prédécesseur de 1993. C'est l'abstention avec 39 % qui absorbe les différences.

Dans la circonscription de Vire, le scénario exactement inverse de 1997 se produit : l'entre-deux tours favorise nettement le candidat de la Droite et J.Y. Cousin creuse l'écart à 54,5 %.

A Cherbourg, Cazeneuve perd son siège de quelques 700 voix, n'ayant pas mobilisé sur sa personne la totalité d'un électorat de gauche, mais il ne s'effondre pas.

A Caen-ouest, la situation est même très différente : Philippe Duron perd son siège de 116 voix tout en gagnant 2.000 voix sur son potentiel de premier tour, mais B. Le Brethon, maire de Caen, en gagne 15.000 également et partait de plus haut.

Retour alors à la Basse-Normandie d'avant 1973 quand tous les députés étaient à Droite et quand à Droite 5 sur 5 étaient gaullistes dans la Manche, 4 sur 5 dans le Calvados et 1 sur 3 dans l'Orne ? Pas du tout. La représentation parlementaire est totalement acquise à la Droite mais tout ou presque a changé : la Manche et l'Orne ne sont plus les modèles de participation nationale qu'ils étaient, la Manche a connu de forts taux d'abstention, les communes où de Gaulle, Pompidou, puis Giscard d'Estaing obtenaient plus de 70 % n'existent plus, l'encadrement d'une droite notabiliaire non plus, les votes FN et CPNT l'ont rongé, enfin la Gauche qui souvent n'atteignait pas les 20 % en zone rurale et n'était pas présente au deuxième tour, a connu de forts reflux mais atteint des niveaux comparables à bien d'autres régions, voire perd de peu des circonscriptions, le FN s'est inscrit dans le paysage électoral après y avoir été marginal plus longtemps qu'ailleurs.

Sur le tableau politique de 14 circonscriptions qui ramène apparemment 30 années plus tôt, beaucoup de choses ont changé.


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