1993, le PS s'effondre

Interruption d'une période de vingt annéesAjouter un sous-titre

Auteur : Pascal Buléon


Les législatives de 1993 ont marqué sur le plan national la fin de la période ouverte vingt années plus tôt en 1973. La décennie 1970 avait vu la poussée de l'ensemble des formations de gauche et l'affirmation progressive du Parti Socialiste comme premier parti au sein de la Gauche. Au cours de cette décennie l'Ouest était entré dans une phase de rattrapage accéléré du profil national et l'écart Droite/Gauche s'était fortement réduit.

La décennie 1980, ouverte par la Présidentielle de 1981, avait vu le rapport Droite-Gauche s'équilibrer, la Gauche l'emportait à la présidentielle pour la première fois de la Cinquième République, obtenait à l'assemblée une majorité historique qu'elle n'avait jamais détenue sous cette forme. De nombreuses villes se donnaient des nouvelles équipes dirigeantes où la Gauche était majoritaire. Inscrit dans cette progression nationale, l'Ouest continuait son rattrapage accéléré.

1986 marquait un premier coup d'arrêt à cette situation, la Droite reprenait la majorité à l'Assemblée Nationale, le PS reculait nationalement sans que les autres formations de gauche ne reprennent des positions. La chute du PCF continuait. De plus en plus d'électeurs dans la seconde partie des années 1980 se portaient sur des formations en dehors des grands partis, le FN à l'extrême droite en fut le premier bénéficiaire, les Écologistes également. Dans l'Ouest,le Parti Socialiste reculait moins qu'au niveau national, le Front National était plus faible, les écologistes détenaient de meilleurs scores que dans l'ensemble français.

Les succès de F. Mitterrand à l'élection présidentielle de 1988, mélange d'un vote de gauche et d'un vote personnel portait au point le plus haut les scores de gauche enregistrés dans la décennie 1980. S'y retrouvaient la quasi-totalité des votes de gauche et une partie de l'électorat centriste. L'Ouest comptait au premier rang des régions qui avaient porté cette progression. Pour autant, ce résultat de second tour ne pouvait effacer les évolutions importantes dont le premier tour était le signe. Les petites formations, le Front National d'un côté, les écologistes de l'autre cristallisaient de façon significative les déceptions des électorats des grands partis. L'Ouest continuait d'avoir pour particularité de moins voter FN et plus voter écologistes.

1993 clôt cette période. Le Parti Socialiste s'effondre littéralement. Les différentes strates d'électeurs qui l'avaient rejoint depuis vingt ans, ceux qui avaient dès leur premier vote voté Parti Socialiste, ceux qui avaient quitté le PCF pour un vote plus utile et un vote de gauche détaché du stalinisme, ceux qui avaient quitté les votes marginaux de la Gauche radicale, ceux qui avaient quitté le Gaullisme ou le centrisme pour un vote de changement, ceux enfin qui avaient voté pour le président sortant en 1988, tous ceux-là l'abandonnent massivement aux Législatives de 1993. Ni le PCF, ni une alternative écologiste de gauche ne recueillent ces électeurs qui accordent une très forte majorité au RPR et à l'UDF.

Les majorités atteintes dans les circonscriptions par les candidats de droite effacent les vingt années précédentes et peuvent être comparées aux majorités acquises lors des Législatives de 1968.

Dans l'ensemble français, seuls deux départements, le Pas-de-Calais et l'Ariège accordent moins de 45 % à la Droite au premier tour en 1993. En 1968, dix départements étaient dans ce cas : le Pas-de-Calais, la Somme, la Nièvre, l'Allier, la Creuse, la Haute-Vienne, la Corrèze, l'Ariège, l'Aude, les Pyrénées-Orientales et les Bouches-du-Rhône. Entre temps, l'homogénéisation nationale du vote a joué et les bastions de gauche du Sud se sont affaiblis, avec une présence prolongée du Front National dans des départements tels que les Bouches-du-Rhône et les Pyrénées-Orientales.

Rejet de la Gauche et du Parti Socialiste en particulier, le vote des Français le 23 mars 1993 n'est pas pour autant un vote d'adhésion à la Droite, c'est le paradoxe de cette élection. Les deux formations de la droite traditionnelle, UDF et RPR, associées dans l'UPF, rassemblent 9.829.000 voix avec un avantage d'1,2 point au RPR. Pourtant, elles n'atteignent pas à elles deux, la barre des 40 %. L'effondrement du camp d'en face et la mécanique du scrutin uninominal à deux tours peuvent faire oublier cet aspect de l'opinion. La victoire en sièges est totale, mais elle repose sur une adhésion faible, au sein d'une opinion où aucun parti ne dépasse 20 % des exprimés, où l'extrême-droite fait 12 %, l'abstention plus de 30 % et les blancs et nuls équivalent à plus de 5 % des exprimés.

Ces 39,69 % des votes situent la Droite UPF au même niveau que lors des Législatives de 1981, 3,5 points au-dessus des Législatives de 1988, mais un peu en dessous de 1986.

En 1992, dans une situation un peu similaire, les Ecologistes et le Front National avaient chacun de leur côté bénéficié de cette désaffection à l'égard des grands partis, des partis de gouvernement, ceux qui pratiquent l'alternance et dont la population ne voit pas l'efficacité sur ce que chaque enquête d'opinion montre comme principal sujet de préoccupation : l'emploi.

Les Ecologistes en 1993, toujours à deux composantes - Génération Ecologie dirigée par Brice Lalonde et les Verts par Antoine Waechter -, rassemblent 10,7 %. Il s'agissait de leur premier vrai scrutin législatif. Ils n'étaient quasiment pas présents en 1988 (dans 20 départements environ), et très peu encore en 1986.

C'est ensoi un bon score, mais en recul sur les 14,39 % des Régionales de l'année précédente où ils avaient effectué une réelle percée dans l'opinion, et en recul sur les intentions de vote dont ils étaient crédités tout au long des mois qui avaient précédé ces élections. L'objectif d'être présent au second tour dans une centaine de circonscriptions s'est mué en la présence effective au second tour dans deux circonscriptions uniquement.

Le Front National n'effectue pas de percée spectaculaire. Il s'ancre durablement dans le paysage politique français. Avec 12,5 %, il progresse de trois points sur ses résultats de 1988 et 1986 où il recueillait 9,7 %. 12,5 % des inscrits représentent 3.100.000 voix et le porte à 5 points et 1.200.000 voix du PS, à 6 et 7 points et 1.500.000 et 1.700.000 voix de l'UDF et du RPR ; ou encore 2 points et 500.000 voix de plus que les Ecologistes et 3 points et 900.000 voix de plus que le Parti Communiste. On mesure ainsi la pénétration du Front National dans l'électorat français. Ses 12,5 % sont en deçà du fort score des régionales 1992 (14,06 %), mais dans un type de vote très différent. Les Régionales comme les Européennes prédisposent à un vote dispersé où toute la palette des opinions s'exprime facilement. Des Législatives, par l'enjeu de la désignation de l'Assemblée Nationale, par le mode de vote qui privilégie une personne qui doit faire preuve d'une reconnaissance locale dans la circonscription, ne favorisent pas a priori un vote de protestation ou de dépit. A l'opposé du vote de liste des Régionales et des Européennes, le vote très personnalisé de la Présidentielle avait attiré sur Jean-Marie Le Pen des suffrages qui ne se retrouvaient jusqu'alors ni dans les élections à caractère local, ni dans des élections à enjeu national, telles les Législatives.

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Ainsi, alors qu'aux Européennes de 1984, le FN effectuait sa percée et obtenait 11 %, passant pour la première fois la barre des 10 % ; aux législatives de 1984, bien que conservant un bon score, il revenait à 9,6 %. A la Présidentielle de 1988, Jean-Marie Le Pen atteignait 14,39 % et rassemblait le plus grand nombre de voix que le FN n'avait jusqu'alors rassemblé : 4.376.000 voix. Aux Législatives qui suivent le FN perd 2 millions de voix et revient à 9,5 %. La série des Cantonalesde 1988 ne lui est pas favorable, il est à 5,24 %, de même que les Municipales de 1989 où il est peu présent. Ce sont les Européennes de 1989 qui le repositionne à 11,7 %. Les Régionales de 1992 et les Législatives de 1993 introduisent ce fait nouveau dans le positionnement du Front National. D'une part, le simple fait d'être toujours présent avec 2 à 3 millions de voix, faisant des pointes spectaculaires dans des départements différents, l'ancre durablement dans le paysage politique. D'autre part, en atteignant en ces occasions des scores qu'il n'avait jusque-là atteints que sur le nom de J.M. Le Pen, en présentant des candidats très souvent inconnus, ou venant d'autres départements, il solidifie son ancrage. Ce n'est plus un vote Le Pen, c'est un vote pour un parti.


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