Analyse du premier tour

21 avril 2002

Auteur : Pascal Buléon


Le 1er tour des élections présidentielles, dimanche 21 avril 2002, a provoqué un ébranlement politique et une émotion considérable. Aucun sondage n'avait prévu le principal résultat : l'élimination de Lionel Jospin et la présence au second tour de Jean-Marie Le Pen.

Comment ce résultat est-il sorti des urnes dimanche ? Par l'effondrement des positions du Parti Socialiste, le recul de la gauche plurielle comme de la Droite parlementaire, la montée de l'extrême-gauche et la réapparition à un niveau jamais atteint de l'extrême-droite sur un fond d'abstention très important : un strike au bowling.

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D'abord l'abstention : autour de 28 %, 7 points de plus qu'en 1995, la plus forte abstention d'un premier tour de Présidentielle. Une abstention encore plus forte dans les villes souvent plus de 30 % : 35 % au Havre, 33 % à Troyes, 30 % à Dunkerque, 32,5 % à Perpignan, 38 % à Calais. Cette abstention a touché les candidats de la Droite parlementaire, mais plus encore la Gauche et Lionel Jospin, Premier Ministre depuis cinq ans.

Bien que les chiffres définitifs en voix ne soient pas encore disponibles, on peut lire le mouvement suivant dans les valeurs absolues (en voix) : quand Chirac et Jospin, et évidemment plus encore ce dernier, perdent un nombre très important de voix par rapport à 1995, Le Pen en gagne, et additionné à celui de Mégret, l'extrême-droite améliore nettement son résultat en voix de 1995. Perte de 2,5 millions de voix pour Jospin sur 6,9 millions (1995), perte de 700.000 sur 6 millions (1995) pour Chirac, gain de 200.000 voix pour Le Pen sur 4,5 millions, et gain de 800.000 avec Mégret. Marée descendante forte pour les deux premiers et surtout pour Jospin, gain pour Le Pen, cela se traduit par une vive progression en pourcentage et par le résultat final qui laisse la France abasourdie le lendemain du premier tour.

La géographie du vote Le Pen n'a pas fondamentalement changé depuis 1995, après son éclipse des Européennes, mais tout son niveau est haussé. Plus fort à l'Est d'une ligne Dunkerque-Perpignan, plus faible à l'Ouest, en Auvergne et dans le Sud-Ouest avec un niveau de base en progression et de nombreux pics locaux dans des zones où il était plus faible.

Parmi des départements de meilleurs scores, comme en 1995, on relève tout le quart Nord-Est avec la Moselle, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, puis l'Ain, le Rhône, la Loire et la Haute-Savoie, plus au sud tout le pourtour de la Méditerranée des Alpes-Maritimes (le plus élevé avec 26 %) aux Pyrénées Orientales, en remontant vers le Tarn-et-Garonne.

Dans quelques départements à score élevé tel le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et la Moselle, tous trois supérieurs à 23 %, il est en dessous de son pourcentage de 1995 (- 2 points dans le Bas-Rhin par exemple)... mais Mégret y réalise de 3,9 à 5 %. La plupart du temps il progresse de plusieurs points, + 1,2 dans le Var (23,5 %), + 1,6 dans le Vaucluse (25.79 %), + 2,3 dans le Territoire de Belfort, + 4 points dans les Ardennes et l'Hérault, etc. Dans 23 départements, il dépasse les 20 % des exprimés et dans 35 il arrive en tête.

Dans les zones où il était plus faible dans la dernière décennie, l'Ouest en particulier, il progresse dans tous les départements, de 1,5 dans le Finistère et l'Ille-et-Vilaine où il atteint 10,8 % et 10,45 % à deux points en général, jusqu'à 4 points en Vendée et 3,5 dans la Sarthe où il atteint son score national et dans l'Orne où il atteint 18 %.

On voit ainsi un vote des zones frontalières, additionné à celui des départements éprouvés par les restructurations industrielles, des départements à forte présence de personnes âgées à fort revenu, à forte présence de rapatriés et de séquelles de la guerre d'Algérie, de difficiles coexistences entre communautés d'origines nationales et de vagues d'immigration différentes, de départementsruraux éprouvés par la crise agricole, de lointaines périphéries urbaines déstructurées, etc. L'énumération n'en finit pas. Le vote Le Pen 2002 est un vaste attrape-tout, tout terrain, comme dans les années 1990 mais plusieurs crans au-dessus.

Il réalise plutôt moins dans des villes à l'Ouest 10,5 % à Saint-Nazaire, 11 % à Brest, 10 % à Caen, etc., mais dans de petites villes comme Argentan ou Condé-sur-Noireau, il arrive en tête avec 17,8 %. Il fait des percées à plus de 25 % dans de tout petits villages.

Tout terrain, il sort en tête, dans les déclarations d'après vote chez les 18-24 ans (20 %) loin devant Jospin (12 %) qui était pourtant donné premier dans les sondages d'avant élection ... et d'avant abstention.

Il sort également largement en tête chez les ouvriers : 24 % devant Chirac, à plus du double de Jospin (11 %), ainsi que chez les chômeurs (30 %).

Le vote Jospin est politiquement et numériquement dévoré par les votes pour les nombreux candidats de gauche. C'est le jeu normal d'un premier tour si l'issue n'avait pas été ce résultat historiquement inédit. Sa structure géographique reste néanmoins la même que 1995 : plus forte dans le Sud-Ouest et maintenant dans l'Ouest, spécialement en Bretagne, des fondations sont minées dans le Nord. L'image territoriale, les différences demeurent, le niveau est effondré.

Jacques Chirac, s'il ne connaît pas l'échec de Jospin, sort affaibli de ce premier tour, bien qu'arrivé en tête : 700.000 de voix de moins, moins de 20 % des exprimés. Une structure territoriale elle aussi habituelle : Corrèze et Cantal à 34 et 30 %, terres privilégiées, un arc Manche-Mayenne-Vendée de plus grande force dans un Grand Ouest et un Massif Central plus favorable. La structure territoriale demeure, mais le niveau a très significativement faibli.


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